Emploi et chômage dans les quartiers : quand la victime devient l’accusé
Comment interpréter l’échec des emplois d’avenir dans les quartiers ? Quelles raisons au chômage des jeunes des quartiers ? Quelles ambitions avoir pour donner à la nouvelle génération toutes les chances d’obtenir un emploi ?
Avec :
Slimane Tirera (Fondateur de Jeunesse en Mouvement - Epinay)
Danielle Ripert (Maire-adjointe de Clichy)
Karima Delli (Députée Européenne Verte)
Leila Chaibi (Secrétaire Nationale du parti de Gauche à l'abolition du précariat)
Dominique Corona (Secrétaire national UNSA éducation)
Pierre LAROUTOUROU (Collectif Roosvelt)
Jean Louis Malys (Secrétaire national CFDT)
Serge Malik (Fondateur de YUMP)
Mamadou Gaye (Directeur Exécutif Nouvelle Cour)
Ibrahima Keita (Conseiller municipal de Cergy chargé de l’emploi et de l’insertion)
Slimane Tirera : Les nouveaux dispositifs qui ont été créés, y compris les emplois d’avenir, ne connaissent pas le succès escompté, notamment dans les quartiers.
Danielle Ripert :A Clichy-la-Garenne, nous avons pas mal d’emplois d’avenir qui sont signés en ce moment. Nous faisons en sorte d’en mettre un maximum sur la table, mais ce n’est pas chose évidente. Je suis maire-adjointe à la jeunesse et aux sports, en même temps que d’un quartier décrété Zone Urbaine Sensible lors d’un passage de Monsieur Sarkozy qui s’était mal fait « recevoir » par un jeune du quartier. On devient ZUS très vitre, dès lors qu’on ne plaît pas à certains hommes politique, du moins pour ce qui se passait auparavant. Je suis également vice-présidente de la mission locale. Nous sommes une ville de 60 000 habitants. Le suivi de la mission locale est de 1 600 jeunes. 600 entrées en emploi et 230 en formation. A un moment ou un autre, il faut qu’on arrive à chiffrer les résultats, on ne peut pas se contenter de travailler sur un dispositif sans savoir ce qu’il coûte, si tout le monde joue le jeu. Je ne vais pas revenir sur la définition d’emploi d’avenir.
La question que je me pose toujours quand ces dispositifs arrivent, c’est de savoir combien de jeunes sont concernés. On voit très bien dans les quartiers populaires, dans les zones sensibles que les jeunes sont de plus en plus anxieux, et ils ont raison de l’être. On sort d’une crise de dix où l’emploi des jeunes a été traité comme un kleenex et on arrive sur les emplois d’avenir avec un souci de pérennité, de durabilité de l’emploi. Par rapport à ce dispositif, les jeunes ont trois questions. Que se passe-t-il au bout de trois ans ? Aujourd’hui, on ne peut pas avoir la prétention de dire qu’on peut travailler sans formation. Or les entreprises n’ont plus cette confiance nécessaire pour dire « On va employer des jeunes. » Il y a effectivement cette stigmatisation des jeunes dans les quartiers populaires. On préfère le recrutement et la formation internes et rester entre « potes » au niveau de l’entreprise, alors qu’aujourd’hui il faut que nous soyons tous partie prenante des dispositifs déployés. Il faut savoir qu’un emploi d’avenir coûte 7 000 € à la commune. Concernant les emplois d’avenir recrutés dans le domaine sportif, une formation est exigée, donc un coût supplémentaire. Certaines communes jouent le jeu, mais quand on est en politique, il faut avoir le courage d’exiger que tous les acteurs jouent le jeu, les associations ou autres. C’est un dispositif sain, mais que l’on doit pousser au maximum. Les communes ne pourront pas tout absorber. Des financements, il y en a. Aujourd’hui, il faut aller chercher les filières des métiers qui sont oubliés et qui vont permettre de créer davantage d’emplois. Ne pas réserver un certain nombre de métiers communs à cette jeunesse-là en disant « C’est beaucoup plus facile de les mettre à cet endroit. Ils ont également droit à un choix en matière de métier et en matière d’avenir.
Karima Delli : Cette question doit être la priorité de l’agenda politique. Quand vous regardez les chiffres aujourd’hui, la crise frappe durement les quartiers. Les chiffres du chômage explose chez les jeunes en atteignant 40,4 % en moyenne. Si on ne s’attaque pas sérieusement au problème du chômage des jeunes et du chômage de masse, nous allons vivre des situations catastrophiques dans l’avenir. Face au chômage de masse qui atteint 5 millions aujourd’hui, il faut arrêter de croire que la croissance va revenir. Elle ne va pas revenir tout de suite, alors que la galère des gens c’est tout de suite. La première question à se poser : comment se fait-il qu’en 2013 on a toujours ces difficultés à entrer dans le monde du travail alors qu’on est issu d’un quartier populaire. Toutes les enquêtes nous disent qu’il règne d’abord un sentiment de discrimination : comment se fait-il que parce qu’on a un nom d’origine étrangère, parce qu’on habite tel quartier, parce qu’on a une couleur de peau, on est moins embauché que les autres ? La lutte contre les discriminations, c’est la première chose à mettre en évidence. Là, il faudra se poser la question du CV anonyme, etc... La deuxième chose : comment se fait-il qu’en période d’activité, les jeunes ou les moins jeunes des quartiers sont les derniers embauchés et qu’en période de crise, ils soient les premiers licenciés ? Il faut remettre à plat ces politiques-là. Deux problèmes gangrènent les quartiers : la pauvreté qui explose. Comment se fait-il que ce problème ne soit pas encore réglé ? Le décrochage scolaire, le manque de qualification et le fait qu’il n’y ait plus de réseaux pour les jeunes de familles pour avoir un soutien et un accompagnement. Trouver du boulot pour ces jeunes-là relève du parcours du combattant.
Pour arrêter de faire du bla-bla, je pense qu’on a trop laissé faire les entreprises. Pour relocaliser les entreprises dans les zones franches, et mettre en œuvre des moyens en faveur de l’insertion des jeunes dans les quartiers, on a créé des effets d’aubaine Aujourd’hui, il faut obliger ces entreprises qui, elles, bénéficient d’exonérations fiscales, à embaucher les jeunes dans les quartiers. C’est à elles aussi de véritablement faire un effort.
Le deuxième défi, c’est relocaliser l’économie. Il faut absolument faire en sorte de réellement investir dans la formation en France. Je l’ai dit, c’est scandaleux qu’il n’y ait plus de ministère de la formation en France, alors que c’est plus que nécessaire. Il faut investir dans la formation mais pas n’importe laquelle, et c’est là que j’en viens aux fameux emplois d’avenir.
Ce que le gouvernement tente de faire avec des moyens restreints, c’est de relancer la machine des contrats avec ces emplois d’avenir. Je le dis tout de suite, cela ne résoudra pas la question du chômage de masse. La dynamique de ces contrats est peut-être nécessaire parce qu’on est en période de crise, il faut bien aider une partie de ces jeunes. Mais je ne crois pas que ce soit une réponse au chômage de masse. 100 000 emplois d’avenir doivent être signés avant la fin de l’année, je ne crois pas qu’on va y arriver. Quel sera l’accompagnement de ces jeunes pendant ces trois ans. C’est là où le contrat d’avenir doit être réorienté. L’avenir c’est quoi ? Ce sont des emplois qui ne vont pas être détruits, ce sont des emplois nouveaux. C’est là qu’en termes d’innovation sociale, qu’en termes d’expérimentation, il faut mettre le paquet. Et moi, j’ai deux solutions. Un : il faut investir dans ce que nous, écologistes, nous appelons la transition écologique. Il faut investir dans les nouveaux emplois verts, quelques soient les secteurs. Et tout de suite, pas dans dix ans, parce qu’il faut former les jeunes et les petites et moyennes entreprises qui viendront demain dans ces quartiers. Deux : il faut valoriser les secteurs de l’économie sociale et solidaire.
Au niveau de l’Europe, il existe un fonds structurel qui s’appelle le FEDER et qui agit sur le bâtiment, la rénovation thermique dans les quartiers, etc… Sauf qu’on ne pourra jamais faire de politique de la ville si on n’investit que dans l’urbain. Maintenant, il faut investir dans l’humain : dans l’insertion, dans la formation. On ne le dit pas, mais les emplois d’avenir sont payés par le fonds social européen. Contrairement à la Commission européenne, le Parlement européen se bat pour que des fonds arrivent dans les quartiers et là je suis en colère contre la France parce que sur la dernière programmation, il n’y a que 2 % des fonds européens qui sont utilisés pour les quartiers. La bataille est là. Demain, ce ne sera plus 2 mais 98 % et vous verrez que l’innovation pourra émerger, et c’est là qu’on pourra créer de l’emploi.
Leila Chaibi :Il y avait une époque, que personnellement je n’ai pas connue, où il y avait moins de gens qui cherchaient du boulot, où il y avait plus d’offres d’emploi que de demandeurs d’emploi. Aujourd’hui, c’est plus le cas. Et quand il y a moins d’offres d’emploi que de demandes, il faut dégager une partie des gens qui sont demandeurs d’emploi du marché du travail. Qui on dégage en premier ? Le plus facile, c’est de dégager d’abord les jeunes parce qu’un jeune n’a jamais connu un CDI à l’ancienne avec le code du travail qui fonctionne à 100 %. C’est plus facile de dégager un jeune qui habite dans un quartier populaire qu’un jeune qui a un capital social –comme on dit– élevé qui habite en centre-ville de Paris. L’une des premières raisons au chômage des jeunes des quartiers populaire, c’est qu’en plus d’être jeune on cumule des discriminations de nom, d’adresses, de pauvreté.
A l’opposé, on entend le discours selon lequel ces jeunes sont inemployables. Ils seraient coupables d’être au chômage, ils ne mériteraient pas un contrat de travail normal, au smic, même à temps partiel. Le smic, qui est un salaire minimum, serait trop élevé. Donc on a inventé sous Sarkozy, et là on continue avec les emplois d’avenir, des statuts dérogatoires au droit commun qui est représenté par le CDI et qui donne accès à une vie normale, une stabilité professionnelle. C’est comme si on avait inventé des soldes sur le droit du travail. Sauf que quand un salarié est en soldes, pour vivre avec moins que le smic dans cette société, vous faites comment pour payer le loyer et remplir votre frigo. Ce n’est pas possible. L’une des raisons pour lesquelles le dispositif des emplois d’avenir est sous-utilisé, c’est qu’il existe déjà plein de dispositifs dérogatoires au droit commun. Avant ça s’appelait les CAE, maintenant ça s’appelle les CUI. Il y a les stages dans le cas desquels vous n’avez même pas besoin de contrat de travail, les services civiques où vous gagnez à peine 500 €. Et je ne vous parle pas des CDD qui sont le luxe du sous-salariat ou de l’intérim.
Dans le secteur non-marchand qui est la première cible des emplois d’avenir, nombre d’associations assurent des missions de service public avec des miettes, qu’elles soient dans le cadre de délégation des services publics ou pas. Elles se retrouvent obligées d’avoir recours à ces sous-statuts et à ces emplois d’avenir. D’un autre côté, pour ces jeunes, plutôt que d’avoir un trou sur son CV, on va recourir à ces emplois d’avenir.
Personnellement, j’ai la chance d’être en CDD dans une association où il y a plein de stagiaires, plein de services civiques. 100 % des gens que j’ai rencontrés que sont en service civique et une bonne partie des stagiaires, ont accepté ce boulot faute de mieux. Quand on la possibilité d’embaucher les gens en sous-statut, on le fait, surtout dans le cadre associatif où il y a une baisse des subventions et un désengagement de l’Etat qui font qu’il n’y a plus les moyens.
Pour parler des solutions, créer de nouvelles catégories ne marche pas. Pourquoi on n’essayerait pas de faire l’inverse et de valoriser le travail. J’entendais dans l’autre débat quelqu’un dire : il faut arrêter de vous victimiser. Mais le fait d’être sans cesse dévalorisé pousse à la victimisation. Je connais quelqu’un qui mange des pizzas et des hamburgers tous les jours et qui prend des cachets contre l’indigestion. J’ai l’impression que c’est ce que fait le gouvernement. Le chômage des quartiers populaires, c’est d’abord un problème de chômage et il faut d’abord résoudre le problème de fond qui est ce chômage de masse. Aujourd’hui ce sont les jeunes, et demain ça va être qui ? Des gens bien installés, en CDI, qui devront travailler en intérim, en emploi d’avenir, et qui deviendront esclaves, pourquoi pas, ça coûte beaucoup moins cher. Mais je ne suis pas sûre qu’une société d’esclavage résolve la crise parce que les esclaves n’ont pas d’argent à dépenser, et quand il n’y a plus d’argent à dépenser, il n’y a plus de produits à vendre, et ce n’est pas comme ça qu’on sort de la crise.
Dominique Corona :L’emploi d’avenir n’est pas statut dérogatoire. C’est un CDD de trois ans, avec éventuellement un CDI derrière. Il respecte le code du travail, il offre les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’un autre contrat. Ce serait inacceptable de faire croire aux jeunes qu’on les embauche en statut dérogatoire. Ce serait le retour du CIP. Il y a un problème de chômage qui explose à la fois chez les seniors et chez les jeunes. Les jeunes des quartiers populaires sont beaucoup plus touchés effectivement que les jeunes du XVIè arrondissement par exemple. Qu’est-ce qu’on fait ? On peut attendre que ça passe. Moi je pense qu’en période de crise, oui il faut faire des emplois d’avenir. Ce n’est sûrement pas la panacée. Mais il faut donner de l’espérance et de l’espoir, et si on peut, par le biais des emplois d’avenir, sortir les jeunes de la merde dans laquelle ils sont, il faut y aller.
Je suis membre d’un OPCA, organisme collecteur de la formation professionnelle pour les domaines de l’économie solidaire et sociale, de la sécurité sociale et de l’habitat social. On a mis en place les moyens financiers pour qu’il y ait un tuteur formé derrière chaque jeune, pour que le jeune soit formé et lui donner de la perspective. Nous avons proposé un suivi social du jeune en collaboration avec une mission locale pour qu’il puisse rester dans l’entreprise et s’insérer durablement. Et on voit que ça ne marche pas. Je dois vous le dire, les employeurs de l’économie solidaire et sociale ne jouent pas leur rôle. On ne peut pas me dire que c’est un problème de financement.
J’ai eu l’occasion de rencontrer le responsable de la branche professionnelle des aides à domicile qui me dit : « Les Conseils généraux n’ont plus d’argent, donc on licencie et on va prendre des emplois d’avenir. » Mais c’et inacceptable, car les emplois d’avenir ne sont pas faits pour ça. On voit bien qu’il y a des garde-fous à mettre en place. Ceux qui sont actuellement dans la loi ne sont pas suffisants. Il n’y a par exemple aucun contrôle des organisations syndicales comme il y en a dans les entreprises pour suivre un : qui est le tuteur ? deux : quelle formation ? trois : quelle qualification pour le jeune qu’on reçoit ? quatre : quel accompagnement social on met en place pour ce jeune. Nous demandons que ce suivi soit mis en place. Il est de la responsabilité des organisations syndicales de pouvoir suivre ce cursus. Suite à ce constat, nous avons négocié avec la RATP, la Poste. Oui, il y a aujourd’hui sur la question des emplois d’avenir, un vrai frein de la part des employeurs. C’est à nous de les pousser à réagir, sinon effectivement les emplois d’avenir risquent de ne pas avoir le succès escompté.
C’est l’avenir. Aujourd’hui, la désespérance dans les quartiers, elle n’est pas acceptable parce que c’est l’avenir de la société que nous jouons aujourd’hui. Nous avons donc une responsabilité collective à ce que cela fonctionne, employeurs, organisations syndicales et associations. Si on loupe le coche, on le paiera extrêmement cher.
Pierre Laroutourou :Une minute sur comment sortir de l’austérité. Une mesure que vous réclamez depuis longtemps peut être mise en place dès le mois de septembre : taxer les flux du PMU ou d’autres jeux peut être fait sans attendre la permission du G20 pour donner de l’oxygène aux associations. Après il faut qu’on se rassemble pour obtenir des choses plus importantes en termes de gain financier. Au niveau européen, il n’y a jamais eu autant de bénéfices. Mais voilà, par exemple l’évolution de l’impôt sur les bénéfices, voilà ce que c’est concrètement le dumping fiscal européen. Depuis que l’Irlande est rentrée, tous les pays baissent l’impôt parce qu’on a peur que les entreprises aillent chez les voisins. Les bénéfices explosent mais dans tous nos pays on dit qu’il n’y a plus d’argent pour la santé, pour le logement. Il faut créer un impôt européen sur les bénéfices et non pas un impôt sur les personnes. C’est faisable en six mois. Aux Etats-Unis, l’impôt sur les bénéfices est à 40 %, en Europe il n’est plus qu’à 25 %. L’Elysée est d’accord mais dit que ça prendra six mois pour le mettre en place. Donc je pense que la société civile devrait se rassembler pour dire qu’il y en a marre de l’austérité. Cela nous permettrait d’avoir 21 milliards de marche de manœuvre si le budget européen était financé par des ressources propres.
Comment sortir du chômage, au-delà de ce qui doit être fait dans l’immédiat pour éviter la catastrophe et les emplois aidés ou autre. N voit très bien que c’est fondamental et que ce n’est pas du tout suffisant. Karima a dit en dix minutes qu’il y a un débat à avoir sur la croissance. Cela fait trente ans qu’on nous dit qu’il ne faut pas s’inquiéter, que la croissance va bientôt revenir. Il faut être très optimiste ou se foutre des chômeurs, des précaires et de leurs familles pour continuer à dire que la croissance va revenir et va suffire. Je vous rappelle qu’il faut en moyenne 2,5 % de croissance pour donner du boulot aux gens. Ça c’était avant la crise des subprimes. Mais depuis que la crise des subprimes a éclaté, les spécialistes économiques disent que le meilleur scénario serait un scénario à la japonaise. Le Japon n’a que 0,7 % de croissance tous les ans depuis vingt ans, alors qu’ils ont eu des plans de relance pharaonique, qu’ils ont fait la politique industrielle la plus ambitieuse, le Japon a fait à donf tout ce qu’on peut faire pour relancer la croissance et n’ont que 0,7 % de croissance et que grâce aux exportations. Il faut certes sortir de la récession et agir au niveau européen pour cela, mais compter sur le retour de la croissance relève de la pensée miraculeuse.
Tout le monde a dit que Pierre Mauroy et Mitterrand avaient eu beaucoup de courage en 1983 de dire que le programme n’était pas adapté et qu’il fallait le changer. Le monde a beaucoup changé, effectivement ils ont eu du courage. A l’époque, la part des salaires était à un maximum historique et effectivement il n’y avait plus assez d’argent pour l’investissement. Aujourd’hui c’est le contraire, dans tous les pays occidentaux la part des salaires est trop faible. C’est pire en Allemagne qu’en France. Et c’est pour cela que la croissance se plante, que les gens ne peuvent pas s’endetter, parce que ce qui va aux salariés ne suffit plus. Et c’est aussi pour cela que l’Etat et les collectivités n’ont plus d’argent parce que les ressources des salariés représentent la première ressource via la TVA ou les caisses de sécu. Pour la gauche, ça ne devrait pas être trop difficile de dire que la crise vient des inégalités et de trente ans de dérégulation. La difficulté pour la gauche, c’est comment on reconstruit le progrès social sans croissance. Or la bonne nouvelle, c’est que c’est possible. Tous nos réseaux le montrent, on a tous des éléments du puzzle, il faudrait juste deux à trois mois de travail ensemble pour rassembler tous les éléments du puzzle.
Si on avait une vraie politique du logement, quand vous voyez le niveau des loyers à Paris, à Brest, à Toulouse ou à Grenoble, on est le seul pays d’Europe où les loyers sont aussi monstrueux. The Economist dit qu’on est 34 % plus cher de la moyenne. Si on avait le même niveau de loyers qu’aux Pays-Bas ou en Allemagne, on ferait 300 euros d’économie en moyenne pour un appartement de 60 m² en France. Il faut construire. La Fondation Abbé Pierre dit qu’il manque 800 000 logements. Il y a de l’argent pour construire. Aux Pays-Bas, les partenaires sociaux ont dit que la question du logement est un besoin fondamental et ont décidé de mettre les fonds de retraite sur les logements plutôt que sur les marchés financiers. Il ne s’agit pas d’un petit truc expérimental dans un coin. Cela concerne plus de la moitié des logements qui existent et qui sont gérés par des coopératives. Et c’est rentable parce que tous les mois, il y a plus d’un million de gens qui envoient leur chèque pour le loyer. Et le bilan : mettre des milliards sur le logement rapporte en moyenne 2,5 % de rentabilité en moyenne aux Pays-Bas. En France, le fonds de réserve est géré par BNP-Paribas et par Barclays sur les marchés financiers, soit 34 milliards qui ne rapportent que 1,4 %. Même du point de vue bêtement financier, mettre cet argent sur le logement serait plus rentable que de le mettre sur les marchés financiers.
Une vraie politique du logement, une vraie politique d’économie d’énergie. Et comme l’Allemagne a les mêmes problèmes que nous, on peut trouver un financement européen à taux 0 ou à 1 %. Pour sauver les banques, on a mis 1 000 milliards sur la table autour de 1 % et personne n’a rouspété. Comment se fait-il que pour sauver le climat et créer des emplois, baisser les factures d’énergie, on n’arrive pas à trouver des financements. Nous demandons un pacte européen énergie-climat-pouvoir d’achat et que chaque pays, chaque année, mette un milliard sur la table.
Dernier point, il faut effectivement un service public de la petite enfance, lutter contre l’échec scolaire. Il faut développer l’économie sociale et solidaire. Il faut une vraie loi de séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires. C’est quand même dramatique que la gauche en France ne fait pas une vraie séparation alors que la droite anglaise ou la droite allemande vont faire une vraie séparation des banques. Sans séparer vraiment les banques de dépôt et les banques d’affaires, les banques se tourneraient vers les PME pour financer leur activité. Enfin, il faut reparler du temps de travail. On est passé de sept jours à six, on est passé de six jours à cinq. Comment se fait-il qu’on continue aujourd’hui à avoir un tabou en France. Les patrons des deux plus grands syndicats en Belgique sont fondateurs du collectif Roosevelt, et disent que c’est incroyable de voir combien le temps de travail est devenu un sujet tabou en France. Cela a été le grand combat de toutes les forces de gauche pendant un siècle et maintenant plus personne n’ose en parler, or le pointage actuel est stupide. D’un côté, on a cinq millions de gens qui font zéro heure par semaine, et de l’autre des millions de salariés qui font trente-neuf heures. Les seuls qui en profitent, ce sont les actionnaires. Il faudra qu’on relance la négociation sur ce sujet.
Jean Louis Malys :Je vais évoquer les emplois d’avenir et le rôle des organisations syndicales et des associations pour à la fois essayer d’être plus efficace dans les quartiers sur ces questions d’insertion des jeunes et de lutte contre les discriminations dont sont victimes à la fois pour des raisons spatiales et d’origines réelles ou supposées des gens des quartiers. Nous, on pense que le dispositif est plutôt bien. Le dispositif est financé, il y a énormément d’argent. Il y a même un milliard de plus qui est prévu. Ce sont des CDD de trois ans qui doivent aboutir à un CDI, avec de la formation et du tutorat. Pourquoi ça ne marche pas ? Nous on a l’impression que la mesure de la situation de l’emploi n’a pas été prise dans ce pays. C’est ce qu’on a dit à la conférence sociale des 20 et 21 juin, organisée par le Président de la République. On a l’impression que chacun se mobilise dans son coin. Les préfectures n’arrivent pas à faire converger les acteurs, les employeurs sont d’une timidité absolue et le milieu associatif souffre de deux choses : il a un peu le syndrome des employeur avec une peur de s’engager et il y a évidemment les incertitudes budgétaires qui ont été évoquées tout à l’heure. Il faut vraiment booster tout ça. Ce n’est plus une question de moyen mais de volonté politique et d’action et cela m’amène à la deuxième partie de mon intervention, à savoir comment on travaille les uns avec les autres.
Le monde syndical est sans doute perçu par les jeunes comme des gens qui tapent sur des tambours et que l’on voit tous les six mois mais qui ne s’occupent finalement pas de leur vie à eux. Ou alors, s’ils s’occupent de la vie des travailleurs, c’est dans les grandes entreprises, la fonction publique, mais finalement pas du reste. Je voudrais dire que c’est faux. Tout à l’heure il y a eu une polémique autour de la complémentaire santé, l’accord ANI est très critiqué par certains. Dans les dispositifs de l’ANI, pour la première fois un accord interprofessionnel s’adresse à ceux qui ne sont pas dans les grandes entreprises, les grandes administrations. Par exemple, il y a 4 millions personnes en France qui n’ont pas de complémentaire santé, dont 400 000 qui n’en ont pas du tout. Mais tous les autres salariés ont des complémentaires santé, payées par les employeurs. Est-ce qu’il n’est pas normal que tous les salariés dans notre pays aient les mêmes droits, et donc aient droit aux complémentaires santé ? C’est vraiment hallucinant de critiquer tout ça ?
Deuxièmement, on a obtenu une taxation des contrats à durée déterminée pour obliger les patrons à faire des contrats à durée indéterminée.
Troisièmement, on va négocier prochainement à propos des droits des chômeurs ce qu’on appelle des« droits rechargeables ». Aujourd’hui, quand vous êtes au chômage, si vous acceptez un nouveau boulot, on va regarder la nouvelle situation qui vous est donnée si vous retombez en situation de chômage. C’est complètement absurde. Pour inciter les gens à reprendre un travail, il vaut mieux leur garantir que les droits qu’ils ont acquis avant puissent continuer à se poursuivre. Ça c’est obtenu.
Quatrièmement, on a augmenté le plancher du temps partiel de 16 heures à 24 heures.
Même si nous sommes présents dans les quartiers, il y a un travail à faire. A Nantes, on a organisé une rencontre entre des jeunes de quartiers et des DRH. On a évidemment négocié en amont la possibilité qu’il y ait de vrais recrutements. On a fait la même chose avec notre fédération des banques et des assurances sur Paris et la banlieue proche. Evidemment ce sont des petites expérimentations, mais le monde du syndicalisme et des associations sont capables de le faire. Les protestations et les effets de tribune sont faciles. Ce qui m’intéresse c’est de savoir ce qu’on fait concrètement pour aider les jeunes des quartiers. Nous sommes complètement disponibles dans les régions pour voir comment on peut travailler ensemble.
Serge Malik :J’ai un discours moins technique mais tout aussi engagé. Je représente une association qui s’appelle YUMP (Young Urban Mouvment Project), un acronyme anglais parce que ça vient de Suède. C’est une utopie. Je suis antiraciste depuis longtemps et je me suis un peu usé à trimbaler l’antiracisme comme une forme d’idéologie et j’ai découvert à travers par ailleurs une seconde vie d’entrepreneur que l’entreprise était à la fois le lieu de l’exclusion, de l’ostracisme et des discriminations bien souvent, mais cela peut être aussi le lieu de la neutralité où convergent des valeurs communes. Les entrepreneurs veulent faire des marges, gagner de l’argent, avoir des marchés, des fournisseurs complaisants et créer des emplois et de la valeur. A un moment je me suis dit : « Pourquoi ne pas chercher dans les quartiers populaires des gens qui voudraient monter des boîtes, sans discriminer sur le plan des diplômes, de l’âge ou des ressources. J’ai fait une campagne Jeveuxmontermaboite.com, qui se termine bientôt, afin de détecter des jeunes porteurs de projets de création d’entreprises qui sont en capacité de créer des emplois locaux dans un délai de trois à cinq ans. C’est très important. Le dispositif est aujourd’hui à l’œuvre dans toute la France. La raison de cela, c’est que pour lutter efficacement contre la discrimination dans les quartiers populaires, c’est le rapport de force. La première académie ouvre le 3 octobre prochain dans le 93, en Seine-Saint-Denis. On estime que dans quatre, cinq ans, avec trois, quatre, cinq, six académies en France, on arrivera à générer 20, 30 créations d’entreprises, qui vont-elles-mêmes générer une cinquantaine d’emplois en France. On pourra alors créer un rapport de force qui génèrera une dynamique. Par ce rapport de force, j’entends que les entrepreneurs qui vont évidemment d’une manière privilégiée recruter localement, constitueront une sorte de force. Imaginons que d’ici cinq ans il y ait mille jeunes des quartiers populaires et qui soient au MEDEF, pourraient jouer le rapport de force.
L’idée c’est tenter l’entreprise comme un lieu d’abord de facilitation à l’emploi. Par ailleurs, ce qui m’intéresse beaucoup, c’est le problème du logement. Pourquoi aujourd’hui on ne décide pas de construire un million de logements. On a dit que ça créerait 800 000 emplois directs, 350 000 emplois dérivés, ça permettrait de casser la spéculation immobilière, de baisser les loyers de 40 % dans les villes. Ce serait une décision assez sage et je pense qu’il faut aujourd’hui militer pour ce genre de système. C’est sur ce genre de choses très concrètes qu’il faut se battre aujourd’hui.
Alors bien sûr il y a les emplois d’avenir qui font la fermeture-éclair, le joint pour effacer les notions comme l’inemployabilité puisque ça rend employables les gens qui ne le sont pas aujourd’hui. C’est une ouverture. Il faut le faire. CDI ou CDD de trois ans, il faut le rappeler. Les emplois d’avenir sont à considérer comme des formations professionnalisantes. Celui qui suit ce parcours n’en sort pas dans le même état que quand il y est entré. C’est aussi très vertueux et il faut le soutenir. Les emplois d’avenir peuvent d’ailleurs aussi s’intégrer dans ma problématique de YUMP, de créations d’entreprises par des jeunes des quartiers populaires. Mais aussi sur la problématique beaucoup plus large d’initiative de plus grande envergure, comme je viens de le dire et j’y tiens beaucoup, un grand chantier de construction d’un million de logements pour que tout le monde soit logés. Les Suédois l’ont fait et ça a très bien marché dans les années 70.
Mamadou Gaye : Je ne vais pas proposer de solution concrète, veuillez m’excuser par avance, parce que je pense qu’il est aussi intéressant qu’on s’arrête pour comprendre les mécanismes en place. J’ai travaillé récemment sur la question de l’emploi des jeunes dans les quartiers et je suis tombé sur un texte de Bourdieu qui dit que le terme de « jeunesse » est une grande tartufferie parce qu’il permet aux adultes qui ont le pouvoir dans les classes sociales élevées, de retarder le moment où ces « jeunes » vont venir leur prendre le pouvoir. Il dit que par contre dans les classes défavorisées, on demande aux jeunes de 18 ans, cet âge social déterminé, de grandir plus vite pour venir contribuer au budget de la famille. C’est une grande tartufferie.
Ce sujet de l’emploi des jeunes dans les quartiers repose sur une grande enfumade autour de la promesse républicaine d’une école de la république. Je ne vais pas taper sur l’école mais je m’appuierai sur une expérience que je dirige, qui s’appelle « Nouvelle cour » qui est une association dont je vous parlerai ultérieurement. Que dit l’école ? « Vas à l’école, travaille bien, obtiens un diplôme et nous t’assurerons un emploi. » En tant que militants associatifs, on a essayé d’abonder dans ce discours. Mais ceux qui ont été à l’école n’arrivent pas à trouver de boulot, ils sont au chômage.
La règle n’est pas très claire finalement. Vous connaissez le sujet par cœur : la discrimination sur l’emploi, etc… C’est ce dont je m’aperçois à Nouvelle cour. C’est une association créée à La Courneuve, qui repose sur le recrutement de BTS en communication que nous gardons pendant deux ans à travers un dispositif d’emplois tremplins. Et au bout de ces deux ans, ils sont forts de cette expérience pour aller trouver du travail sur le marché de l’emploi. Ça existe depuis 7 ans. 14 jeunes en sont sortis, 80 %, donc une dizaine d’entre eux, ont poursuivi dans le domaine de la communication. D’autres ont fait le choix d’être réorientés. Et sur ces 10 personnes-là, deux ont réussi à intégrer des agences de communication. Pourquoi pas plus ? Parce que les agences de communication recrutent des personnes sur la base de la notoriété des écoles (écoles de commerce, Celsa, etc…). Il faut donc regarder le problème avec une approche un peu plus systémique. On observe alors qu’on a développé des filières professionnalisantes mais qui, dans les faits, ne permettent pas d’accéder à un emploi. C’est un vrai le problème pour certains d’entre eux, même s’il existe des emplois d’avenir qui permet de régler le problème pour certains d’entre eux. Et qu’on soit clair, je suis concrètement pour changer la vie d’au moins une personne. Au-delà de ce débat, posons la question aux décideurs de ce que nous faisons par rapport à ces critères de recrutement que l’on trouve dans les entreprises. Tous les critères on les connaît, c’est : « Vous n’avez pas l’entre-gens, vous n’avez pas la bonne couleur. » Et maintenant : « Vous n’avez pas le bon diplôme. » Ce discours pernicieux détruit toute action –et je le vis au quotidien– qui vise à recréer de l’espoir, remobiliser les individus, etc…
On ne peut donc poser le problème de l’emploi dans les quartiers sans se reposer la question de la formation et de la valeur qui est accordée aux diplômes par les entreprises qui peuvent recruter. De manière concrète, je leur apprends à faire de la communication. De manière concrète, ils arrivent à travailler et on a montré l’exemple dans quelques entreprises, mais moi tout seul, je suis dans l’incapacité d’expliquer à un employeur qu’il pourra de toute façon, et surtout en période de contraction économique, avoir quelqu’un avec Bac+5 qu’il paiera exactement le même prix auquel il recrutait quelqu’un avec un Bac+2 il y a dix ans.
Il y a un vrai problème sur la règle. On ment aux jeunes. Je renvoie ça aux différents partenaires et aux syndicats.
On pourra se gargariser autant qu’on voudra avec ces sujets, ce sera sur la base d’un rapport de force que les choses vont se passer ou pas. On en reviendra toujours à cet enjeu-là. Combien de personnes sommes-nous ? C’est comme ça que j’ai été formé, c’est comme ça qu’on a été formé, c’est comme ça qu’on a obtenu des avancées, c’est comme ça de mon point de vue qu’on pourra en obtenir d’autres. Une note d’espoir : en travaillant sur cette notion de jeunes et d’emploi, les green jobs. Le gouvernement Sarkozy a mandaté BearingPoint pour étudier combien d’emplois seront créés par l’économie verte, et ils sont arrivés avec un chiffre faramineux. La réalité c’est que les green jobs ne vont pas être des emplois en plus que l’on va créer. Ce sont des individus que l’on va former à faire un autre boulot. C’es tun enjeu de formation. Autre exemple dans la Baie de San-Francisco : initiative locale, un maire suite à un référendum, décide d’augmenter de façon drastique les cotisations locales des entreprises polluantes. Cette manne financière générée a permis de financer l’emploi des jeunes désœuvrés de cette région-là, qui sont allés ensuite allés poser des panneaux solaires sur les maisons des habitants de manière gracieuse. Ils payent les panneaux solaires, la pose est prise en charge par la collectivité. Rapport de force, une idée qui manque beaucoup à nos gouvernements. Nous avons entendus notre camarade du Parti Socialiste. Il faut être un peu énervé. Je comprends la colère qui a été exprimée tout à l’heure. Aujourd’hui, on a de bonnes raisons d’être en colère. Ces initiatives sont possibles. Elles nécessitent d’analyser la réalité telle qu’elle est. Ça nécessite des politiques courageux qui acceptent d’innover.
Eléments de débat : il est vrai que les emplois d’avenir restent des palliatifs pendant la crise. Mais ils ne doivent pas nous empêcher de réfléchir à la problématique dans sa globalité. Il ne faut pas qu’ils deviennent des pansements qui nous empêchent de regarder la réalité. Et la réalité c’est qu’il y a des employés de différentes catégories qui ne sont pas traités de la même manière, qui ne sont pas payés de la même manière pour le boulot qu’ils font. Ce sont des sujets assez basiques qu’il ne faut pas laisser de côté : la réduction du temps de travail, tous ces sujets-là, on doit s’autoriser à les considérer parce que ce n’est pas en refaisant la même chose qu’on obtiendra des résultats différents.
Ibrahima Keita : Je suis conseiller municipal chargé de l’emploi et de l’insertion par l’économie à Cergy et je suis également fondateur d’une association « Initiative pour la promotion de la diversité » (Iniprod).
Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit. Mais une chose n’a pas été dite concernant les jeunes dans les quartiers populaires : à mon humble avis, il faut effectivement faire un travail sur ces jeunes-là avant de leur proposer quoique ce soit, c’est-à-dire faire en sorte que ces jeunes puissent se reconstruire psychologiquement. Ces jeunes-là sont abîmés. Ils ne croient plus en la société au sens le plus large, la société, et au sens le plus strict, l’entreprise. Que les jeunes retrouvent confiance en la société dans laquelle ils vivent, et confiance en eux-mêmes. Ce sont des jeunes aujourd’hui qui n’ont plus de repères. Qu’ils soient coachés pour retrouver cette confiance.
Dans un deuxième temps, il faut effectivement créer, innover, parce qu’on est en période de crise. Je ne reviens pas sur l’utilité des emplois d’avenir. On n’a pas parlé des contrats de génération et effectivement ils permettent d’aider à intégrer des jeunes dans les entreprises avec des séniors qui sont sur le point de partir, qui vont leur céder la place. Mais la question est de savoir si ces dispositifs seront suffisants pour inverser la courbe du chômage. J’en doute fort. A partir de là, il va certainement falloir penser à bien d’autres choses.
Car il ne faut pas non plus porter des œillères et penser que les emplois d’avenir suffiront. Quoiqu’on en dise aujourd’hui, on ne peut pas dissocier l’emploi de la formation. Parce que les enjeux d’aujourd’hui et de demain tournent autour. La promotion sociale passe par la réussite scolaire, mais il faut également les accompagner. Aujourd’hui, on voit bien que les discriminations, les préjugés sont là. Parce que ça commence à la maison, par rapport à ce qu’on dit aux enfants, à ce qu’on leur apprend à l’école, parce qu’il y a des choses qui sont mises de côté. Et lorsqu’on oriente ces enfants issus de l’immigration et des quartiers populaires, on continue d’entretenir ce plafond de verre, qu’ils n’accèdent pas à l’excellence pour x ou y raisons. Pour les rares qui parviennent à passer entre les mails du filet, qui ont bac+4, bac+5 issus de grandes écoles, on voit comment ça se passe sur les lieux de travail, malheureusement. Ils en font deux fois plus, à compétences égales avec celui qui vient du 15ème arrondissement de Paris pour un salaire bien entendu beaucoup moins élevé. C’est une réalité.
Observons ce qui se passe dans les pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis. Les enfants, dès le plus jeune âge, sont initiés et ont une culture de l’entreprenariat. Ici, en France, on a la culture du salariat. Donc ils sont guidés pour faire les grandes écoles, parce que nous vivons dans une société cartésienne, et le moment venu, ils iront travailler dans des entreprises privées.
Et il y a un point qu’il faut arrêter de passer sous silence. A une époque, la mode était aux entreprises signataires de la Charte de la diversité. Où sont-elles aujourd’hui ? Ce serait bien qu’on fasse un audit, elles sont à peu près 300 aujourd’hui en France. Maintenant, elles font même mieux que ça, elles ont le label de la diversité. Qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce qu’elles respectent effectivement les clauses qui consistent à faire en sorte de recruter un certain nombre de jeunes issus des quartiers populaires ? J’en doute fort. Il faut faire en sorte de contraindre les entreprises qui se trouvent sur le territoire à recruter minimum un certain nombre de jeunes issus des quartiers. Aujourd’hui ça ne se fait pas. Lorsque les entreprises viennent s’installer à Cergy, elles obtiennent un certain nombre d’avantages, mais elles viennent avec leur personnel. Et très souvent elles invoquent la sous-qualification des jeunes de quartier pour ne pas les employer. Dans ces quartiers, il y a effectivement une telle paupérisation, même au niveau de la qualité des diplômes, que c’est un prétexte pour eux pour ne pas recruter ces jeunes-là qui ont fait l’effort pour obtenir un poste identique à tel ingénieur venant d’ailleurs. Ce problème se pose aussi.
Enfin, il faut aussi faire la promotion de l’économie sociale et solidaire. Moi j’aimerais mettre l’humain au centre de tout. Et faire aussi la promotion de la mobilité à l’internationale. Il y a des jeunes qui ne veulent pas forcément rester en France, ne serait-ce que pour l’avantage d’apprendre une langue étrangère. On sait bien qu’aujourd’hui ne pas maîtriser l’anglais, c’est un handicap. Le Canada ouvre ses portes aujourd’hui.
Donc je pense qu’il faut aujourd’hui considérer le problème de l’emploi dans sa globalité. Les emplois d’avenir sont une bonne chose, les contrats de génération sont également de très belles mesures mais pas suffisantes pour inverser la courbe du chômage des jeunes et d’une façon générale. A travers l’association que j’ai créée qui s’appelle « Initiative pour la promotion de la diversité », je vous invite tous à vous rendre à Cergy où j’organise un débat là-dessus en partenariat avec la Maison des potes qui s’intitule « Discrimination dans l’emploi des jeunes : fantasmes ou réalité ». Je vous remercie.
Un intervenant : Je trouve qu’on parle beaucoup de la responsabilité des jeunes par rapport au chômage et on ne parle beaucoup de la responsabilité des entreprises. Tout à l’heure Leïla Chaïbi en parlait, d’un côté il y a la pression sociale du chômage sur les salaires et qui impacte sur le chômage des jeunes dans les quartiers. Marx disait que le chômage était l’armée de réserve du capitalisme au sens où il permettait aux entreprises de faire pression sur les salaires, sur les candidats aux emplois. Et de l’autre côté, il y a le racisme et les discriminations dans le monde de l’entreprise, et c’est là qu’on peut faire quelque chose, c’est là qu’on a besoin de soutien, nous qui luttons contre les discriminations, non seulement en théorie, en venant ici, mais aussi en pratique en menant des actions judiciaires contre les discriminations. La Fédération des Maisons des potes mènent actuellement de nombreux procès contre des entreprises qui font de la discrimination et du fichage ethnique.
Mamadou Gaye : Au sujet des entreprises qui discriminent, moi, en tant qu’entrepreneur-recruteur, je n’ai jamais compris le recrutement comme une porte à la discrimination, j’ai recruté toutes sortes de gens. Regardez les quartiers populaires, regardez la Seine-Saint-Denis, regardez l’avenue du Président Wilson, les 45 ou 46 studios de télévision, je ne vous parle pas du Stade de France, du nombre d’entreprises dans ce département, regardez les gens qui viennent travailler dans ces entreprises viennent du 92, du 95, de Paris, etc… mais ce ne sont pas des blancs. On ne recrute pas dans ces entreprises des blancs venus d’ailleurs. On recrute toutes sortes de gens qui viennent de partout, il n’y a pas de véritable discrimination. Le seul point discriminant, c’est la qualification, la capacité à intégrer un poste professionnel. Je reviens sur la question des emplois d’avenir : je pense que ce genre de poste est absolument nécessaire, d’abord parce que la formation ou les dispositifs de formation visiblement ne sont pas suffisants. Il y règne un problème d’incompétence de mon point de vue. J’ai des jeunes avec des contrats qui leur donnent confiance en eux-mêmes, et confiance en la capacité qu’ils ont personnellement à intégrer le monde du travail avec un processus de qualifications qui leur permet à terme, 3 ans, 4 ans, 5 ans, de devenir professionnels. Lorsqu’ils viendront chercher du boulot au Stade de France quand ils habitent à La Courneuve, ceux-là seront embauchés. Donc il ne faut pas tout mettre sur le dos de la méchante entreprise discriminante, parce qu’il n’est pas vrai que sur des territoires, notamment en Seine-Saint-Denis, que les entrepreneurs ne sont pas des recruteurs potentiels de tous les jeunes de quartiers du moment qu’ils ont la capacité d’occuper un poste.
Un intervenant :Deux constats. Le premier, c’est qu’il y a un an, quand on a organisé les universités d’automne de la Maison des Potes, Samuel était à la tribune, c’était juste avant l’annonce des emplois d’avenir et il disait « ça ne marchera pas » parce que les emplois jeunes, ça avait galéré pour finalement marcher parce qu’ils avaient modifié leurs objectifs. Ils avaient pour ambition à l’époque de mettre 90% de ces emplois dans les quartiers populaires. Samuel disait : « les associations n’ont pas d’argent et ne pourront pas assumer, dans les quartiers populaires, l’embauche d’autant de jeunes qui ne pourront jamais, à aucun moment, être intégrés dans l’association ». Ce qui est quand même incroyable dans ce pays, c’est qu’on tue les associations, on ne leur donne pas d’argent, par contre on leur demande de freiner le chômage des jeunes. Alors qu’on pourrait demander cela surtout aux entreprises, mais non, on va le demander aux associations. Conclusion : cela n’a pas marché. Il y a eu 200 contrats signés, je crois en Ile-de-France alors qu’on était sur des chiffres faramineux. Ça ne fonctionne pas. Et finalement ils vont faire appel aux collectivités locales qui vont bénéficier, si elles font appel à ce dispositif pour embaucher. Pourquoi ? Parce que ces jeunes doivent avoir une qualification assez faible, donc forcément il faut un encadrant au sein de la structure.
Pas d’argent pour avoir des encadrants, donc pas d’embauche dans les associations, on le savait. La vérité c’est que ceux qui ont des cadres aujourd’hui sont les collectivités qui ont de l’argent et qui vont régler ce problème. Ce ne seront pas les associations et encore moins celles de quartiers qui ont encore moins d’argent.
Le deuxième point qui paraît spécifique à l’embauche dans les quartiers, c’est l’emploi des étrangers. Alors, il n’y a pas que des étrangers dans les quartiers, les étrangers sont sur l’ensemble du territoire français. Mais aujourd’hui il y a quand même des médecins qui bossent par centaines dans les hôpitaux publics et qui sont contractuels pour la simple raison qu’ils sont étrangers, alors qu’ils sont sur notre territoire, certains depuis des années. En tout cas, il faut le même métier que les médecins fonctionnaires et payés dans des conditions différentes. Sur le long terme, ils ont des droits différents. C’est une revendication d’égalité primordiale que nous revendiquons depuis des années maintenant. Cette revendication est lourde à porter politiquement mais, si elle était satisfaite, elle permettrait aussi de fait de pérenniser dans les quartiers populaires un statut et un travail pour certaines personnes en difficulté. Les syndicats ont mis du temps à bouger sur cette question. Je ne sais pas ce qu’il en est pour la CFDT, la CGT s’était battue pour ça la semaine dernière. Le Parti socialiste nous avait dit oui il y a encore un an et demi avant qu’il soit élu, et puis aujourd’hui bien sûr, ils n’en parlent plus. Ma question aux intervenants : que pensez-vous de l’ouverture des emplois fermés aux étrangers sur la plupart des postes, je crois qu’il y en a 6 ou 10 millions. Tous ne sont pas possibles du fait de conditions spécifiques de la défense et de la sécurité nationale mais la plupart le sont. Qu’en pensez-vous ?
Une intervenante :Je voulais juste spécifier. On ne dit pas qu’il n’y a que des discriminations raciales dans les quartiers. On dit qu’il y en a, qu’il ne faut pas les nier. Certes il faut parler de la formation, le problème c’est qu’une fois qu’ils seront formés, si on ne les prépare pas aux discriminations raciales auxquelles ils vont être confrontés, on aura le même problème et on aura retardé les solutions pour eux. Donc, l’idée c’est, comme l’a lancé la fédé, de faire de vrais partenariats avec les entreprises qui sont pour le cv anonyme, qui sont pour l’embauche des jeunes peu importe leur situation géographique ou leurs origines. On ne dit pas qu’il n’y a que ça. Il y en a, il y a des procès en cours. Et il ne faut jamais oublier d’en parler sinon on ne fera que retarder les solutions.
Un intervenant :Il y a quand même le slogan du Front National qui est « Les Français d’abord » et il y a le slogan de la crise qui est « Les faibles d’abord », mais dans l’autre sens. Ça veut dire que quand le coup arrive, les premiers qui sont sur le carreau, ce sont les plus faibles. Et cela reste valable à deux niveaux. Je vais assumer le fait que je suis socialiste d’un coup. Je veux juste qu’on se rappelle d’une chose. Pendant la campagne, je faisais le tour de mon quartier, j’avais des arguments. Et c’était la réalité. 25 % des jeunes sur le territoire national étaient déjà au chômage, mais dans les quartiers, on était à 40 %, donc dans le bilan Sarkozy. Mais on oublie vite. Ce que je veux dire, c’est que le gouvernement a lui-même loupé des coches. C’est d’abord de faire un bilan. On vous montre tout ce qu’il y a avant de continuer. Il aurait fallu une véritable pédagogie pour que les gens se rendent compte de tout le mal qui a été fait pendant ces 10 ans et plus particulièrement ces 5 ans. Parce que du mal a été fait. Sarkozy n’avait pas prévu la crise comme cela. Il s’est fait balader dans tous les sens. Mais aujourd’hui en parler, ça va être très compliqué. Parce que maintenant qu’ils sont sur place, qu’ils ont passé un an, pour expliquer tout ça, ils peuvent toujours ramer. On n’a pas tiré de bilan.
Quand je disais que c’est le faible qui paye, Sarkozy a mis en place une mesure qui s’appelle « zéro charge TPE ». Moi, pendant ce temps, je m’occupais d’entreprises en difficulté, donc des TPE, j’étais président d’une association qui s’appelait « SOS entreprises 21 ». En 2008, quand la crise est arrivée, cette association a eu beaucoup de succès, parce qu’on a accompagné les gens. Cette mesure nous aidait à remettre des entreprises en selle. Mais lorsque Buisson est arrivé, toute cette partie de la droite libérale a dit à Sarkozy : « Ce n’est pas possible ». Ce matelas permettait aux entreprises de rebondir et d’embaucher. Sarkozy l’a enlevée, mais l’idée n’était pas mauvaise. Qu’est-ce qui empêche aujourd’hui le Parti socialiste de la remettre en place, tout en sachant que cette proposition a été relayée très haut par des patrons, des syndicats patronaux. Aujourd’hui on nous parle de crédits d’impôts. Mais qu’est-ce que cela signifie. Un crédit d’impôt, cela veut que si aujourd’hui je n’ai pas à manger, on me dit : « C’est pas grave, tu vas attendre la fin de l’année. Sur ce que tu gagneras, on te rétrocèdera une partie. » Mais je n’ai rien à manger ! C’est complètement surréaliste, le problème il est là. « zéro charge TPE » ; cela voulait tout dire, je ne paye pas de charges, je peux embaucher. Ça c’est une vraie solution qu’on peut mettre en place maintenant. Et ça peut marcher aussi.
Dernier détail : au sujet de la formation des jeunes dans les quartiers. On a travaillé très dur, avec Rebsamen, avec l’Amacode qu’on lui fait remonter. C’est ce qu’on appelle le code. Il va falloir travailler sur le code, parce que chaque entreprise a des codes. Il faut travailler sur le code de langage, le code vestimentaire, le code comportemental, pour que ces gens-intègrent les entreprises et accèdent à une transparence de l’esprit qui entraîne la transparence dans la façon de parler pour être comme tout le monde.
Il faut que tous ces jeunes des quartiers se disent une chose : je suis Français, je vis ici. Mes enfants vivront là. Le Front National à 3 choses : le drapeau, la fierté nationale et la haine. Prenez le drapeau et la fierté nationale et laissez-leur la haine. C’est tout ce que j’avais à ajouter.
Jean Louis Malys : Sur les emplois fermés, la CFDT a été l’une des premières organisations a dire qu’elle était favorable au fait d’ouvrir les emplois non régaliens, hors police, justice et militaires à des étrangers. Les autres organisations sont venues après, d’ailleurs nous avons une petite divergence sur la notion de fonctionnaire. Souvent cette notion est sacralisée. Nous, cela fait très longtemps que nous pensons que ce statut doit aussi être modernisé, en particulier ans la fonction publique non régalienne.
Ensuite, je pense qu’il est vrai que les plus fragiles sont les premières victimes de la crise. Je pense d’ailleurs que contrairement au concept de jeunesse qui a été développé tout à l’heure, il n’y a pas une seule jeunesse, il y a des jeunesses, c’est évident. Malgré tout dans le monde du travail aujourd’hui, on a une structure entre deux âges stable et une variable d’ajustement : les jeunes et les vieux. Et c’est eux qui trinquent aujourd’hui. D’une certaine manière, le vrai enjeu, et qui est un enjeu syndical pour nous très fort, c’est que pour changer cela, est-ce que le cœur syndical ne doit pas bouger ? Ou bien est-ce que le cœur doit bouger pour permettre de stabiliser et d’intégrer les jeunes dans les entreprises et de conserver les anciens ? Et c’est une question fondamentale pour le syndicalisme, c’est la notion de « ruissellement ». Parce qu’on a des gens avec des super statuts, tout ce qu’on va donner à ces statuts fait que finalement tout le monde, à un moment donné, en bénéficie, n’y a-t-il pas à un moment cette structure de ruissellement –qui est aussi une structure très libérale (on donne aux riches, qui embauchent). Dans les entreprises, on a le même souci. On a une vision de ruissellement : on donne aux statuts et puis ça va profiter à tout le monde. Ou bien ne faut-il pas faire une remise en cause de la stabilité du droit du travail pour l’ouvrir aux jeunes et aussi aux femmes qui sont les deux grandes victimes en période de crise. Dans le syndicalisme, on se frotte entre nous, parce que n’avons pas les mêmes visions des choses.
Je ne pense pas que les emplois d’avenir soient la solution. C’est une solution d’urgence. Cette voie peut éventuellement être efficace. Est-ce que ça va échouer ? On n’est pas sûr que cela va fonctionner mais on a intérêt à mettre les financements dans ce dispositif et à faire en sorte qu’il marche. Et je rappelle que ce dispositif n’est pas destiné aux quartiers mais aux jeunes en échec scolaire qui n’ont pas de diplôme. Ensuite, il y a une exception dans les quartiers pour les jeunes diplômés. Ces emplois, ouverts aux associations et aux collectivités territoriales, sont aussi ouverts aux entreprises privées, si ce sont des entreprises novatrices, porteuses d’avenir. Attention, ce ne sont pas des entreprises demandeuses d’emploi. Parce que ces entreprises sont celles où les gens n’ont pas envie de bosser, parce que les conditions sont lamentables, parce que c’est mal payé, je pense à la restauration… Effectivement, ce n’est qu’un marchepied. Mais soit on décrète que la crise est finie et on crée de l’emploi, et on trouve toutes les belles solutions. Soit on est dans cette perspective d’imaginer, je ne sais pas avec quelle croissance, mais il faudrait un petit peu de croissance, parce qu’on va étouffer avec ce qui se passe aujourd’hui, et en attenant il faut préparer les jeunes à l’emploi. Si on ne fait pas ça, quand l’emploi va revenir, on dira aux jeunes « Oui mais vous n’avez pas d’expérience. Vous avez été écartés du monde du travail. » Et quand on est écarté longtemps du monde du travail, c’est comme le sport, pour retrouver la forme du jour au lendemain, on n’y arrive pas. Pour l’emploi, c’est la même chose, il ne faut pas s’éloigner de l’emploi.
Je pense qu’une des façons, je suis d’accord que beaucoup de jeunes dans cette société ont l’impression de vivre sur une autre planète mais le travail est un élément d’intégration, et je continue de penser que le travail est structurant dans une vie et que ça peut aider tout le monde, y compris pour la question des codes et des références à la société et au vivre ensemble.
Mamadou Gaye : Sur les emplois fermés et sur la discrimination, j’ai suivi le combat de la maison des potes et on en revient à cette question des rapports de force. Je sais qu’il y a le cas des débitants de tabac, qui sont collecteurs d’impôts, puisqu’une partie des produits qu’on achète dans un tabac sont reversés à l’Etat. Et je ne m’explique toujours pas aujourd’hui en quoi le fait d’être né à Bamako, Dakar ou ailleurs, ferait qu’on ne pourrait pas s’acquitter de cette tâche de collecteur d’impôt pour l’Etat. De nouveau, je vous invite à regarder ce qu’il y a derrière. C’est la question de à qui on peut faire confiance par rapport à certains emplois.
Il y a la question des gens dont ça changerait concrètement le niveau de rémunération qui seraient payés de la même manière que leurs collègues médecins en France. De la même manière, je pense que symboliquement, et en terme de poids moral, cela enverrait un message extraordinaire à l’ensemble de la société. Ça commencerait à travailler cet enjeu de confiance. Je disais à mon voisin tout à l’heure que toutes les bonnes solutions se heurtent à un problème. Deux chercheurs du CNRS ont fait un travail très intéressant que je vous invite à regarder, c’est un bouquin gratuit qui s’appelle « La société de défiance » montre que la France a autant de confiance que les pays du tiers-monde, que ce soit les individus entre eux et les individus envers leurs institutions. Donc cet enjeu de confiance est un point important.
Je voulais revenir sur la question des discriminations, je ne l’ai pas oublié dans mon propos tout à l’heure. Je voudrais faire un très rapide point historique. A l’époque j’étais à SOS Racisme avec Samuel. On buttait sur le débat moral de savoir si les gens étaient racistes, s’ils avaient des amis noirs ou juifs, ou quoi et petit à petit on est arrivé à faire la preuve des conséquences sociales de ce racisme-là. Et on a fait émerger la question des discriminations. Ça remonte à 1998. Ce que j’invitais à faire tout à l’heure, c’est considérer comment les choses avaient évoluées depuis 1998. Et moi ma conviction, c’est que le problème est beaucoup plus pernicieux qu’il ne l’était à l’époque. C’est-à-dire que plus personne –Samuel va me dire non– ou du moins, moins d’individus parce qu’il y a eu des procès médiatisés, iront indiquer des critères de sélection ou ratio. C’est un vrai enjeu, et il faut faire attention au moment où l’on parle d’emplois d’avenir qui ne sont que des emplois d’urgence, mon propos est de dire que le système qui consistait à maintenir éloignés les gens exclus de l’emploi, sur des critères qui étaient identifiables et qu’on a eu du mal à identifier, est en train de changer. Maintenant, il y a une discrimination sur la base des diplômes qui est opérée, qui est encore plus pernicieuse. Je l’ai déjà dit à Samuel, personnellement je suis opposé au cv anonyme, je pense qu’il ne règlera rien. Le problème a tellement changé que le cv anonyme ne viendra plus le régler de manière concrète. Ça a été dit, il y a les écoles, l’entre-gens, les diplômes, les langues… Il y aura toujours plus de critères exigés pour faire partie de ceux qui ont droit au bonheur. Vous le savez parfaitement, une entreprise qui publie une annonce d’emploi demande exactement ce qu’elle veut, et généralement le mouton à 5 pattes. Le système de recrutement en tant que tel, je le sais pour l’avoir dans des entreprises, aussi bien que dans des associations, ne permet pas au DRH de recruter. C’est le manager qui recrute la personne qui lui ressemble, qui dispose de ses codes. Il y a des critères qui ne sont écrits nulle part. A un moment ou un autre, il faudra qu’on mette à plat les règles du recrutement, du marché de l’emploi, de ce avec quoi on part et ce à quoi cela permet de prétendre. Il n’empêche qu’il faudra qu’on mène la bataille sur les discriminations. Ce n’est pas que l’enjeu des entreprises, c’est aussi le problème des pouvoirs publics, du ministère de la justice. La réalité on l’a analysée, on l’a comprise. Condamner le patron d’entreprise, c’est se condamner soi-même, c’est condamner une certaine partie de la société. Ce que j’observe et ce que j’ai observé dans la structure que je dirige c’est que ces « contournements » sont encore plus pernicieux, il y a une surenchère dans les diplômes qui n’a pas de fin et qui n’est encadrée par rien. Chacun fait ce qu’il veut. Du coup, on a des variables d’ajustement, en haut un petit peu, en bas un petit peu. Les stages, c’est un scandale monumental. On vient opposer les jeunes dont on parle avec les travailleurs.
Toutes ces questions-là, peu importe par quel bout on les prend, que ce soit les subventions des associations jusqu’à la législation qui ne s’applique pas dans les entreprises, leurs obligations par rapport à la Charte de la diversité reviennent à un enjeu et à un débat politique, et à une question de modèle de société in fine. Un représentant du PS nous a dit « C’est compliqué, laissez-nous du temps… », je lui dis : « C’est maintenant ! ». Les gens subissent les conséquences de la crise et c’est maintenant que ça se passe.
Ibrahima Keita : Je veux aussi rebondir sur cette histoire de code parce que c’est important. En 2005, avant que je ne sois élu, je faisais partie d’une association qui s’appelait APR et qui existe toujours et qui est connue aussi à Cergy, Association Pour la Rencontre. Je faisais partie de la filière promotion jeune. A l’époque j’avais pour rôle de coacher les jeunes, je devais faire en sorte qu’ils retrouvent la confiance. Il fallait aussi faire en sorte qu’ils aient le savoir-être, qu’ils soient en adéquation avec la culture d’entreprise. Il fallait effectivement qu’ils maîtrisent les codes vestimentaires, les codes verbaux qu’ils n’ont pas. Il y a tout ce travail à faire en amont auprès des jeunes, que je continue à faire en tant qu’élu avec la création d’un service « Accompagnement et Réseau pour l’emploi » pour que les jeunes soient en capacité de faire un CV, une lettre de motivation, de parler d’un projet professionnel. Ils ne connaissent pas exactement la signification de « projet professionnel ». Et il faut surtout savoir exactement ce que le jeune veut faire. Qu’est-ce qui se passe dans les écoles où ils sont mal orientés, tout part de là. Lorsqu’ils se rendent compte que ce n’est pas ce qu’ils voulaient faire, c’est trop tard. Il faut orienter les jeunes, d’une part vers ce qu’ils veulent faire, mais là où il y a des débouchés également. Ce n’est pas toujours évident. On voit aujourd’hui comment les facs sont pleines à craquer. Qu’est-ce que le fait d’avoir une maîtrise donne au bout du compte ? On voit bien le résultat. Lorsque j’étais dans cette association, en 2005 la SNCF, un des plus gros employeurs de France, tout comme la RATP, avait passé la journée à Cergy. C’est beau mais c’est plus de la com’ qu’autre chose, non seulement parce que les processus de recrutement sont très longs, mais ils sont compliqués, ils sont sélectifs, et au bout du compte pour recruter combien de personnes ? Mais à l’époque, tous les partenaires sur le territoire, y compris à l’époque l’ANPE, Karim Zeribi –que tu connais Samuel, qui est aujourd’hui député pour les Vers– Karim Zeribi était présent parce qu’il travaillait au sein de la SNCF. On a terminé premier au niveau des jeunes qui étaient éligibles. C’est pour dire que quelque part, le fait d’avoir fait ce travail en amont a pu armer ces jeunes-là. Mais ça ne leur garantit rien. J’organise une fois par an un forum pour l’emploi et les métiers, parce qu’il faut informer les jeunes sur les métiers. Une vingtaine d’entreprises vient, on communique et au bout du compte, malgré la crise, il y a des entreprises qui nous disent aujourd’hui, avec des termes bien appropriés : « On ne veut pas d’Arabes, on ne veut pas de Noirs ». C’est effectivement un code.
Je rejoins Monsieur Gaye. Pour moi le CV anonyme est une vaste fumisterie. A partir du moment où une entreprise, signataire de la charte de la diversité ou pas, considère qu’elle n’exerce pas de discrimination et que c’est effectivement uniquement sur le critère du mérite qu’elle recrute, pourquoi faire des CV anonymes ? Parce que tôt ou tard, cette personne se présentera devant vous. Chacun son avis. Personnellement je n’y crois pas. C’est une fausse bonne idée. Si l’entreprise a des consignes pour ne pas recruter des personnes issues de la diversité dans les quartiers populaires, au bout du compte la personne qui se présentera ne sera pas prise. C’est une perte de temps et je ne crois pas au CV anonyme.
Aujourd’hui il faut explorer toutes les pistes pour que les jeunes puissent trouver leur place dans la société. C’est un problème d’intégration et il n’y a aucune raison aujourd’hui qu’il en soit autrement.
Pierre Laroutourou : Je ne trouve pas très héroïque le fait qu’on demande aux associations d’embaucher alors qu’on ne leur donne pas d’argent. C’est un vrai scandale. On a trouvé mille milliards, je le répète, pour sauver les banques, et c’était utile parce que si les banques avaient pété, on ne serait pas bien aujourd’hui. Mille milliards à 1 % donc gratos. Aux Etats-Unis, à 0,01 % on ne peut pas faire mieux. Et personne n’a dit que cela allait provoquer de l’inflation ou autre chose. En France, on a mis 20 milliards pour le CICE. J’ai vu Jean-Marc Ayrault et je lui ai dit : « ça va être difficile l’année prochaine quand tu vas expliquer qu’il faut augmenter la TVA et qu’on va faire un chèque de 300 millions à Total. » Comment est-ce qu’on peut trouver 20 milliards pour le CICE et ne pas trouver le minimum pour les associations ? D’autant plus que la plupart des économistes un peu sérieux pensent maintenant qu’on va vers une nouvelle crise. La bulle immobilière vient d’exploser en Chine où ils viennent de mettre 30 % de leur PIB en un an, rien que par les crédits privés pour relancer la croissance. Malgré cela, la croissance se plante depuis deux ans. Au moins, le gouvernement chinois avoue que la l’activité recule même en mettant 30 % du PIB sur la table. Vous avez aimé l’éclatement de la bulle en Espagne, vous allez adorer l’éclatement de la bulle immobilière en Chine où il n’y a qu’un milliard d’habitants, où il n’y a même pas de filet social, pas de solidarité familiale. Donc tous ceux qui pensent que la crise est bientôt finie et que les associations, on n’en a rien à foutre, se trompent. On va vers une aggravation de la crise. Il faut tout faire au niveau européen, au niveau du G20 pour sortir de la crise du néo-capitalisme, mais il faut tout faire pour renforcer les systèmes de solidarité sociale, tout ce qui fait que les gens vivent ensemble au niveau du territoire sans s’engueuler et sans se foutre sur la tronche dès qu’ils sont énervés. Donc mettre de l’argent dans des associations et leur donner les moyens de maintenir ce qu’elles font quelque soit la diversité des territoires, c’est fondamental pour notre avenir puisqu’on va vers une nouvelle crise et qu’il faut tout faire pour sauver la cohésion. C’est juste scandaleux et paradoxal de dire « il faut créer des emplois » et ne pas donner d’argent.
Sur la question des discriminations : les parents de ma femme sont arrivés en France en 1968. Ils ne parlaient pas un mot de français, ils ont tous les deux trouvé un boulot payé au smic, parce qu’à l’époque le smic, c’était le salaire minimum et que personne n’aurait imaginé payer en-dessous du smic. Ce n’était pas génial mais ils venaient du Maroc et d’Espagne, des régions où l’on mourrait de faim. Ils ont trouvé un logement dans un quartier populaire mais qui n’était pas un ghetto. Moyennant quoi, ils ont vécu correctement, modestement, d’abord dans une pièce, puis dans deux. Ils faisaient la fête avec les copains. Ma femme est arrivée à l’école maternelle, elle ne parlait pas un mot de français parce qu’à la maison on ne parlait toujours pas français. Mais maintenant, elle est prof agrégée parce que l’école a fonctionné. La question des discriminations, comme la question des formations, est fondamentale aujourd’hui. Il faut lutter contre la discrimination, il faut améliorer la formation. Mais si on arrivait à changer les rapports de force sur le marché du travail, les entreprises ne chercheraient plus le mouton à 5 pattes. Je viens d’embaucher quelqu’un pour le collectif Roosevelt, elle avait fait un stage pendant 3 mois. On lui a proposé un CDI à 1 500 € par mois, elle n’en revenait pas. C’est elle, la future salariée qui trouvait que 1 500 € c’était trop et qu’elle se contenterait de 1 000 €. Je lui ai dit que j’aurais honte de ne la payer que 1 000 €. Même des gens diplômés se mettent dans la tête que 1 500 € c’est peut-être trop. Donc vous imaginez ceux qui ne sont pas du tout diplômés. Tant qu’on n’aura pas changé les rapports de force massivement sur le marché du travail, les problèmes de discrimination seront indémerdables. Donc il faut changer radicalement. Et si vous avez le temps de le lire pendant les vacances, c’est gratuit et édité par le collectif Roosevelt, il s’agit de nos 15 propositions. Il n’y a pas de baguette magique, il n’y a pas une seule chose à faire. Mais si on agit en même temps pour sortir de la récession, et en même temps sur le logement, sur les économies d’énergie, sur le service public, sur le développement des associations, sur l’économie sociale, sur les temps de travail, on peut créer plus de 2 millions et demi d’emplois en trois ans. Si on crée plus de deux millions et demi d’emplois, le rapport de force va changer. On continue la lutte contre les discriminations, on continue les emplois tremplin, tout ce qui peut éviter que ça pète à court terme mais il faut une ambition pour forte pour la cohésion sociale. On peut créer 2 millions et demi d’emplois et c’est un scandale qu’on ne le fasse pas. Cette semaine, j’ai passé une heure avec le conseiller social de l’Elysée qui me disait être d’accord et qu’il fallait convaincre le chef. Cela devient un vrai problème de démocratie quand on va 5 fois à Matignon dans un mois et 3 fois à l’Elysée et que tout le monde dit : « Je suis d’accord mais il faut arriver à faire bouger le chef ».
Dernier point : le rapport de force politique. Je pense qu’il faut effectivement qu’on se rassemble, sinon tous nos réseaux risquent de se fatiguer et de se décourager. On n’est 3 000 dans la salle. Ce n’est pas dans 10 ans ou dans 15 ans qu’il faudra réussir mais dans les mois qui viennent. Tout le monde explique que le Front National va cartonner aux Européennes, ça me ferait mal que dans un an, tout le débat tourne autour du Front National. Si le Front National est à 35 et le premier parti de gauche à 10 ou 15, ce sera dramatique pour al suite du débat. A la fin de Jospin, on a eu le Front National au deuxième tour bien qu’on ait dit que c’était impossible, que jamais ça n’arriverait. On n’a peut-être pas envie que le Front National gagne le deuxième tour dans quatre ans. Or si on continue une politique qui déçoit tout le monde, il y a un vrai risque. Il faut qu’on se remue. Les esprits évoluent mais il est important qu’on voit nos points de convergence, qu’on ait un débat. Mais qu’on voit surtout à l’automne comment on peut faire bouger nos points de convergence. Dans un an, ce sera peut-être trop tard.
Mamadou Gaye : J’ai lancé le débat sur le CV anonyme et je voudrais préciser les raisons. Premièrement, je pense qu’il est destructurant de demander à des individus de gommer leur identité pour trouver du travail. Moi, ça me pose un problème moral. Deuxièmement : on a observé lorsque nous étions chez SOS Racisme qu’une mécanique s’était installée. L’enjeu de la discrimination était très fort pour les personnes diplômées. L’enjeu des personnes diplômées et pas recrutées avaient des répercussions pour les moins diplômés. Quand moi, 22 ans, je m’aperçois que mon grand frère qui a un master 2 n’arrive pas à trouver du boulot, c’est beaucoup plus compliqué pour moi qui suis plus jeune. Il y a un lien de cause à effet. C’est un CV un peu plus long, truffé d’indices, qui dit qui on est, d’où on vient, qui on a fréquenté, etc… On s’en est rendu compte. On est parti de la discrimination qui touchait tout le monde à la discrimination qui touche les plus diplômés. Ce qui était vrai il y a 10 ans a peut-être évolué. Donc c’est une invitation que je fais, à re-réfléchir sur ce sujet-là dans la mesure où dans le recrutement des plus diplômés, le CV anonyme est truffé d’éléments qui disent qui sont les individus.
Dominique Corona : J’habite un petit village dans le Vaucluse qui s’appelle Vedaine, dans la circonscription de Carpentras. Ma députée s’appelle Marion Maréchal-Le Pen. Si on n’y prend pas garde, effectivement, le Front National est en train de marquer des points dans la jeunesse et le monde ouvrier. Et on a une responsabilité collective face à cela. Moi en tant qu’organisation syndicale, mon boulot est de démonter le programme social et économique de ce parti. Pour expliquer aux gens qu’effectivement c’est un programme de réduction sociale, c’est un programme qui n’est pas fait pour les ouvriers, c’est un programme qui n’est pas fait pour les employés, c’est un programme qui n’est pas fait pour la jeunesse. Il faut qu’on ait tous conscience que si on ne fait pas ce travail collectivement, chacun dans ses prérogatives va avoir des surprises. Aujourd’hui le Front National rentre dans les entreprises, rentre dans les lycées. Ce n’est pas comme en 1986 quand moi j’étais jeune. On n’en est plus là. Et on voit bien que les jeunes sont décomplexés face au vote FN. Il faut qu’on essaye de se bouger tous ensemble car on va avoir des lendemains qui déchantent violents.
Sur les emplois d’avenir : c’est un marchepied. Il est sûr qu’on ne va pas régler le chômage grâce aux emplois d’avenir. Certainement pas. Mais on a un moyen et il faut le prendre. Moi, je suis réformiste et quand j’ai un moyen à ma disposition, je le prends. Et j’essaye effectivement de transformer l’essai derrière. Et quand on parle des associations qui n’ont pas d’argent : oui, c’est vrai, il y a un problème de financement des associations en France. Mais les mutuelles, elles ont de l’argent. Il faudrait qu’elles pratiquent l’économie sociale et solidaire. Combien ont-elles ont payé d’emplois d’avenir ? Combien des grosses associations qui ont de l’argent, parce qu’il y en a, l’ont fait. Et aujourd’hui, je ne suis pas d’accord, l’emploi d’avenir dans certaines régions ne coûte rien, donc il faut arrêter d’avoir peur. Il y a effectivement un budget de fonctionnement d’une association avec des subventions etc, et peut-être que dans le cadre de la loi sur l’économie sociale et solidaire, qui va passer au mois de septembre, il faut sanctuariser les subventions entre autres pour les associations qui embauchent des jeunes dans le cadre d’emplois d’avenir, mais je pense qu’il y a un vrai frein, une vraie méconnaissance des jeunes, et les jeunes dans les quartiers populaires, qui fait que l’on voit des présidents d’associations, de mutuelles extrêmement frileux. Je vous le dis, il ne faut plus avoir peur. Il faut maintenant y aller, on n’a pas le choix.
Samuel Thomas : Quand on a ouvert cette table ronde sur les emplois d’avenir dans les quartiers, nous avons évoqué l’échec de la politique gouvernementale, par rapport à ce qui a été promis, qui était 150 000 emplois d’avenir en un an. 50 000 pour les quartiers populaires. Les chiffres sont 2 000 pour les quartiers populaires. 4 % des objectifs sont atteints seulement. On a dit que le discours avait été inversé et que les victimes du chômage étaient devenues les coupables de leur chômage. Et ce n’est pas une supputation, c’est une déclaration dans La Tribune et Les Echos, faite par Sapin et Lamy qui ont justifié l’échec par l’ « inemployabilité » des jeunes des quartiers. C’est leur terme à eux reproduit dans Les Echos et La Tribune. On a expliqué que même avec une licence (Bac+3), quand on est des quartiers, on n’est pas adapté à l’emploi. On a ce point de départ et cela s’appelle la discrimination raciale, indirecte. Il n’y a que ceux qui se cachent derrière leur petit doigt pour ne pas le reconnaître. Et le pire, quand on veut comprendre l’incapacité à reconnaître la discrimination raciale, c’est quand François Lamy me traite d’extrêmiste sur le plateau de Zemmour et Nauleau parce que je réclame un plan de lutte contre les discriminations raciales et qu’il dit qu’en réalité cela est dû au fait que ces jeunes n’ont aucun réseau relationnel et qu’en réalité on peut compenser cette absence de réseau relationnel par les emplois francs qui consiste à donner une petite prime aux entreprises qui veulent bien les embaucher. Mais que ça n’est que du ressenti. Voilà le déni de la réalité de l’ampleur des discriminations qui touchent le monde de l’économie sociale et solidaire autant que les entreprises privées. Par ailleurs, il refuse de porter cette campagne « J’ai violemment envie d’apprendre un métier », « J’ai violemment envie de travailler » au niveau national, une campagne qui interpelle le monde social et solidaire, qui a la même mentalité que l’économie libérale privée qui considère que ces jeunes-là finalement sont sans doute incapables d’avoir les codes de comportement. Et puis il faudra trop de mois ou d’années, parce qu’ils ont été tellement déconnectés du monde de l’entreprise, parce que leurs parents, les pauvres, ne travaillent pas, donc leurs enfants ne savent même pas ce que c’est que s’habiller pour aller travailler en entreprise, ils restent en babouche à la maison. Ils ne peuvent même pas imaginer qu’il faudrait un processus de quelques mois pour que ces jeunes acquièrent les codes de comportement en entreprise, non, c’est peine perdue. Et les associations ou les entreprises qui disent « Mais moi, je ne peux pas en prendre autant que ce que vous demandez sinon mon entreprise va devenir un ghetto et j’en ai déjà une certaine dose, et que si d’un seul coup la majorité de mon entreprise n’est pas blanche, c’est un ghetto. Donc qu’ils restent dans leur ghetto, au lieu que mon entreprise devienne un ghetto. » Ce discours raciste n’est pas dénoncé par les plus hautes autorités de l’Etat qui refusent de le dénoncer. L’échec, on le prévoyait. Il ne faut pas oublier. Tout le monde dit que les emplois jeunes ont été une réussite, sauf que les gens des quartiers ne les ont pas eus. Ce sont les associations, la police nationale et les collèges qui ont pris ces jeunes. Dès le début, nous avons dit que si ce ne sont pas les associations qui font l’effort d’aller recruter ces jeunes, elles qui sont présentes dans les territoires, c’est vrai qu’ils ne seront pas recrutés. On a anticipé mais d’abord il faut doter les associations de financements pérennes, d’abord il faut les doter d’encadrants qui vont pouvoir recruter, embaucher et faire travailler ces jeunes. Mais si vous ne commencez pas par restaurer les moyens d’encadrement et de fonctionnement des associations avec des budgets d’activité, vous ne pourrez pas demander aux associations de les prendre. Et quand on a dit ça au ministre de la ville, ils ont considéré que ce n’était pas du tout vrai, qu’en réalité il y avait un vrai plan de politique de la ville qui allait renforcer els associations, qu’ils allaient concentrer les crédits sur 1 000 quartiers au lieu de 2 500 quartiers. On a vu que ça n’a pas été le cas. Les crédits n’ont pas été concentrés sur les associations. Les associations n’ont pas été soutenues. Nous, on est pragmatique. On avait demandé à ce que les associations soient co-financées par le Préfet, collectivité locale, conseil général, mairie etc, pour pouvoir garantir un financement aux associations qui embauchent. Ils n’ont pas mis en place de garantie. On mesure les difficultés que rencontrent les administrations, etc, mais on ne supporte pas l’anathème car eux n’ont pas été pragmatiques. Ils n’ont pas mis en place tous les dispositifs. Leur discours est juste d’une violence extrême. Nous avons besoin de créer des rapports de force anti-racistes, pas seulement sur l’employabilité.
Pour conclure sur la globalité des ces trois jours en deux mots, les convergences qui ont eu lieu au cours des différentes tables avec des dirigeants d’organisations syndicales, de partis politiques, de collectivités locales qui sont tous confrontés aux mêmes problématiques. Tout le monde a dit « notre problème ». Par contre, la convergence des luttes n’a pas été évidente puisqu’on a vu que Louis Mohamed Seye refuse de porter la lutte contre l’austérité. Or s’il ne veut pas porter la lutte contre l’austérité, il y a un problème. Il faut bien une convergence des luttes. S’il n’y en a pas, il n’y aura pas de mobilisation citoyenne qui permettra de sortir du désespoir. Sortir du désespoir, c’est déjà le début de la solution. On sort du désespoir par la lutte. Si on ne sort pas du désespoir par la lutte, le désespoir mène au vote pour le Front National. Evidemment que nous avons une responsabilité, nous, grande fédération d’éducation populaire avec 10 salariés. Nous avons la grande responsabilité d’aller chercher les grandes organisations syndicales qui ont des milliers de salariés. Si on prend tous les salariés qui travaillent dans les organisations syndicales, tous ceux qui travaillent dans les entreprises d’économie sociale et solidaire et que tout le monde joue son rôle de militant, et qu’on met nos forces militantes en commun, on peut déclencher des mouvements, des mobilisations, créer des rapports de force. En tout cas, on ne peut pas, nous, en assumer les moyens matériels comme affréter des cars… Créer un rapport de force, cela veut dire qu’on converge sur des rendez-vous, qu’on se les donne maintenant pour qu’à la rentrée de septembre, il y ait des rapports de force qui soient déclenchés, que ce soit pour les quartiers dans le cadre du droit de vote pour les étrangers, que ce soit pour la commémoration de la Marche pour l’Egalité, que ce soit contre les discriminations, que ce soit pour l’emploi dans les quartiers, on doit créer des rapports de force et des convergences de lutte pour la rentrée. Et j’espère que l’on va crouler sous les mobilisations, qu’il va y avoir plein d’initiatives et qu’on saura faire converger. Nous avons su faire converger dans les idées, ensuite nous convergerons dans les luttes. Mais si nous sommes dans une surenchère d’initiatives et que nous partons tous en ordre dispersé, nous perdrons de l’énergie.
Nous avons prévu de faire un tour de France de l’égalité, en octobre-novembre-décembre pour terminer avec des assises de l’égalité le 7 décembre, date anniversaire des 30 ans de la Marche pour l’Egalité. On verra si d’autres s’engagent sur la même démarche.
Ce qu’on a apprécié sur ces 3 jours, c’est qu’il y avait des gens qui n’étaient pas invités aux tribunes, qui dirigent des associations et qui étaient dans la salle. Je pense au Forum des Quartiers Populaires, à Emergence, etc… Nous sommes contents qu’ils soient venus en disant « Qu’est-ce que nous allons faire ensemble à la rentrée ? Pour moi, c’est extrêmement positif. L’enjeu est tel que les sectarismes sont en train de tomber parce que la préoccupation de la montée du Front Nationale est commune, parce que le désespoir est une préoccupation commune et que si d’autres initient ce que nous avons été capables d’initier ici, nous serons à leur rendez-vous. On m’a invité aux initiatives lancées par le Front de Gauche à Grenoble à la fin du mois d’août alors que je n’avais été jamais invité auparavant. J’ai été invité, il n’y a pas longtemps, par le Parti Communiste qui a invité le social-traitre à participer aux assises de la citoyenneté. Donc si tout le monde fait des efforts pour s’inviter mutuellement et si on a une énergie commune qui peut être mobilisée pour des mouvements sociaux, pour des rapports de force qui arriveront peut-être à faire plier ceux qui doivent plier dans chacune des collectivités ceux qui sont un peu trop frileux sur les combats qu’on partage ici.
Concernant le CV anonyme, le fait que des associations et des entreprises qui se prétendent antiracistes, qui en grande majorité sont des racistes qui n’assumeront jamais de l’être, aient des comportement de sélection sans avoir même rencontré la personne, en écartant des gens sur des préjugés dont ils n’ont même pas pris la conscience aboutie au point de les formaliser, que c’est gens-là, qui sont la majorité des gens qui discriminent aient quelqu’un en face d’eux qui fait tomber leurs préjugés, parce que ce sont des gens disponibles à faire tomber leurs préjugés, ce sera plus difficile pour eux d’avoir un stéréotype qui leur a permis de balayer un CV en une minute que de balayer quelqu’un qui est en face d’eux. Comme la majorité des comportements discriminatoires sont le fait de gens qui n’assumeront jamais d’être racistes, je pense que le CV anonyme permet de faire avancer les choses. Et il ne s’agit pas de demander aux gens de s’anonymiser, il s’agit que comme le service de recrutement de la mairie de Toulouse, de la SNCF, de la RATP, des emplois d’avenir, un service de recrutement n’a pas à connaître l’identité d’une personne qu’elle veut rencontrer en entretien. Que le service public l’impose immédiatement sans décret d’application. Vous les RH, au sein des entreprises, devez anonymiser les candidatures que les managers vont sélectionner pour un entretien. Ne me dites pas que ça vous pose un problème de procéder comme cela puisque cela fonctionne déjà dans certaines entreprises. C’est faisable. Un coup de ciseau sur une feuille et c’est réglé. Ce processus permet de faire changer les pratiques de discrimination de la part de gens qui ne sont même pas conscients qu’ils sont en train de les commettre.