L’Europe veut-elle encore lutter contre les discriminations ?

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Après avoir imposé en 1991 aux états d’autoriser les européens à accéder aux emplois publics, après avoir impulsé une politique de lutte contre les discriminations, l’Europe semble être au point mort. Comment lui donner un nouveau souffle ?

 

Karim Zeribi (Député Européen EELV)

Jean Lambert (Députée européenne britannique)

Joseph Burnotte (Responsable lutte contre les discriminations et la diversité CEPAG-FGTB)

Youssoupha Thiam (Fondateur de SOS Racisme Sicile)

Isabelle Carles (Chercheuse à L’Université Libre de Bruxelles)

Omar Benfaid (Secrétaire national CFDT)

Rachid Alaoui (Sociologue – Reims FNMDP)

Alexandrine Yala (Coordinatrice du réseau Européen de la FNMDP)

 

 

 

Jean Lambert : Pour comprendre le racisme et les discriminations au Royaume-Uni, il faut connaître les changements qui sont le résultat de la lutte contre les attitudes racistes et les mouvements racistes. Ils proviennent de l’action politique et également des organisations de terrain et des universitaires. Ils sensibilisent l’opinion et apportent un aspect plus informatif à ce qui se passe dans les rues.

Deux choses ont un impact fort au Royaume-Uni. Tout d’abord étant donné notre histoire coloniale, de nombreuses personnes viennent des pays d’Asie du Sud ou d’Afrique. Elles possèdent le droit de vote et peuvent se présenter aux élections. De plus, nous sommes très ouverts à propos de la double nationalité. Vous pouvez voir au Parlement européen un élu venant du Royaume Uni qui ait également la nationalité australienne. Nous avons par exemple un député européen qui a la double nationalité britannique et sri lankaise. Et c’est également parce que ces personnes peuvent voter que les politiques font plus attention à leurs attentes.

Nous avons une histoire moderne des relations raciales qui remonte aux années 70. En l’occurrence la loi des relations raciales était en quelque sorte une réponse à l’émergence du parti de l’extrême droite britannique, le BNP. A cette époque le gouvernement travailliste a essayé de mettre en place des lois qui portaient plutôt sur l’égalité et qui étaient davantage une réponse aux questions de logement et de police évoquées ci-après.

De même, le gouvernement à Londres était très actif dans le domaine de l’enseignement. Dans les écoles, nous avons assisté à un développement des politiques antiracistes. Par exemple on enseignait aux enfants quelle attitude adopter face aux évènements racistes qui avaient lieu à l’école. Puis on apprenait aux enfants l’histoire des Noirs ou ce qu’on appelle le mois des Noirs où on parlait de l’histoire et des revendications de ces populations-là.

A l’époque nous avons décidé qu’il nous fallait surtout des données chiffrées sur le nombre de personne qui étaient employées et dans quel degrés de hiérarchie dans le service public et au sein des différentes entreprises. Et la Commission de l’égalité raciale avait d’importants pouvoirs en matière de représentation et d’investigation.

Un autre évènement, c’est le meurtre d’un jeune homme noir de 18 ans, Steven Laurens. La police a tellement minimisé cet incident qu’une enquête a été lancée. Et pour beaucoup de familles blanches de classe moyenne, c’était la première fois qu’ils voyaient la réalité du point de vue d’une famille noire britannique. Cette enquête a révélé au grand jour le racisme institutionnalisé de la police. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de quelques policiers mais de toute l’institution policière. C’est pour cela que la famille de la victime n’a jamais obtenu justice.

Cela a engendré de nombreux changements au sein de la police comme la façon de recruter. Notamment, la police doit refléter davantage la communauté qu’elle sert. D’autres institutions publiques ont également du apporter des changements en leur sein. Aujourd’hui dans la législation britannique, il existe un devoir public de défense de l’égalité et des bonnes relations au sein de la communauté. C’est loin d’être parfait mais au moins ce devoir existe dans la loi.

Il était également nécessaire qu’il y ait  des organisations qui puissent lancer des enquêtes à la suite d’évènements racistes. Et tout cela a eu une certaine influence sur la législation au niveau de l’U.E. Il existe beaucoup de débats sur la question de savoir en quoi l’U.E peut profiter au Royaume-Uni et vice versa, qu’est-ce que le Royaume-Uni peut apporter à l’Union européenne. Je pense que la réponse c’est que le Royaume-Uni a apporté une sorte d’attitude positive en matière d’égalité même s’il est vrai qu’il reste beaucoup de travail à faire.

 

 

 

  

 

Isabelle Carles : Comment l’anti-discrimination et notamment l’anti-discrimination raciale est-elle devenue un enjeu européen ?

Quelques éléments historiques

L’idée de porter à un niveau européen la lutte contre les discriminations va naître dans les années 80. Les frontières intérieures sont supprimées. L’élément central de la politique européenne d’immigration et d’intégration des immigrés repose sur la lutte contre les discriminations. La thématique de l’anti-discrimination raciale va être introduite par les instances européennes par deux biais. D’une part, par la commande d’études transnationales qui vont inviter les universitaires européens à se pencher sur la problématique. Puis une impulsion politique avec une multiplication de déclarations, de recommandations vont s’appuyer sur différents rapports établis notamment par le Parlement européen et la Commission européenne sur la situation du racisme en Europe. Ces instances préconiseront in fine la création d’un cadre commun de lutte contre le racisme au niveau européen. La société civile est portée principalement au niveau européen par les Britanniques et par les Hollandais. Il y a un regroupement d’ONG, de juristes, d’universitaires qui peu à peu vont proposer un cadre légal de lutte contre les discriminations commun à tous les Etats-membres. Par la suite, les directives européennes vont être rapidement adoptées à l’unanimité. La première dite « directive race » va interdire toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le motif d’une prétendue race ou origine ethnique. La seconde, dite « directive emploi » va interdire toute discrimination sur le lieu de travail quel que soit le motif de discrimination, c’est-à-dire celui de l’âge, de la religion, des convictions, celui du handicap et de l’orientation sexuelle. La protection accordée aux victimes de discrimination raciale sera plus large que celle accordée aux autres motifs de discriminations. On est à un moment où l’extrême droite en Autriche entre au gouvernement et les pays européens veulent marquer de façon collective leur opposition de principe à cette entrée. Une entente politique se crée et pousse à l’adoption des directives. D’autre part, les deux directives vont être rapidement adoptées car elles correspondent parfaitement à un cadrage politique européen de l’époque ; à savoir la volonté de construire un marché unique européen mais aussi de lutter contre l’exclusion sociale.

Bilan

 Treize ans plus tard, le bilan en matière de lutte contre les discriminations au niveau européen reste mitigé. Un outillage juridique efficace fut adopté. En effet, la lutte contre les discriminations s’est enrichi d’un point de vue juridique avec l’introduction de nombreux de concepts. Parmi ces concepts figurent la discrimination directe ou indirecte et le principe d’allégement de la charge de la preuve. A cette époque-là, une floraison d’organisations, de lobbys, de campagnes d’information ont été mises en place avec cette volonté de favoriser l’échange transnational. Des réseaux d’experts juridiques, des ONG antiracistes ont été étendus au niveau européen. En 1997, l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes est créé à Viennes. Il va participer à la diffusion d’information et de stratégie de lutte contre le racisme par des publications et des actions de lobbying. On forme les acteurs clef aux lois anti-discrimination dans l’idée de les sensibiliser pleinement à ces principes en tenant des séminaires spécialisés pour les magistrats ou encore les praticiens du droit.

Toutefois, les discriminations ne semblent plus constituer une priorité de l’agenda politique européen. Année après année, la thématique antiraciste s’est effacée au profit d’une lutte pour la diversité. L’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes a été remplacé par l’Agence des droits fondamentaux. Elle a désormais des mandats extrêmement élargis et non plus focalisés sur le racisme. Le premier programme d’action européen de lutte contre les discriminations est fondu dans un programme unique dans l’ensemble des affaires sociales qui s’intitule « Progress » dont le budget a été diminué. Cette évolution était peut-être inévitable : la base antiraciste était déjà associée aux autres motifs de discrimination. L’étape suivante était certainement de s’interroger sur la lutte contre les discriminations dites « multiples » qui pourraient croiser plusieurs critères discriminatoires. De ce point de vue, c’est une évolution positive. Néanmoins, cette question de la discrimination multiple est sur le plan juridique très peu traitée car ignorée au niveau européen. Par ailleurs, au niveau national, certaines dispositions des directives, notamment les définitions de la discrimination directe ou indirecte, n’ont pas été correctement transposées dans de nombreux pays ou alors de façon extrêmement lente. Il y a eu beaucoup de réticences. Il reste aussi de nombreuses barrières à l’accès à la justice. Le nombre de plaintes enregistrées reste faible et se limite aussi dans bon nombre de pays au domaine de l’emploi. Le niveau de connaissance de la législation anti-discrimination malgré toutes les campagnes reste relativement faible.

Perspectives pour la lutte antiraciste et anti-discrimination

Dans ce contexte d’essoufflement de la politique européenne sur la question des discriminations, il est d’autant plus nécessaire que les associations s’assurent que les pays s’attachent à appliquer leurs propres lois anti-discriminations. Le prochain combat doit s’accompagner de mesures qui visent à informer, convaincre et persuader les personnes du bienfondé de l’égalité de traitement, par l’entremise par exemple de programmes d’éducation plus audacieux. La finalité serait d’informer les jeunes sur la richesse de l’échange et de la diversité. L’objectif est d’agir en amont afin de parvenir à un changement d’attitude de sorte que les discriminations soient évitées non seulement parce que l’on craint d’être sanctionné mais aussi parce que les enjeux de cette interdiction sont bien compris et surtout admis.