Etape de Nantes et Saint-Herblain
Le 19 novembre 2020, la Fédération Nationale des Maisons des Potes organisait la visioconférence « Nantes et Saint-Herblain pour l’Égalité contre le racisme et les discriminations ». Côté invité-e-s, nous avions Dominique TAFFIN et Pierre-Yves BOCQUET, respectivement directrice et directeur adjoint de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, Bassem ASSEH, premier adjoint de Madame la Maire de Nantes ROLLAND et en charge de la politique de la ville, de l’économie, de l’emploi et du dialogue citoyen. Paul GEADAS, responsable local de la Maison des Potes de Saint-Herblain et en charge des thématiques de l’égalité, de la lutte contre les discriminations et de la citoyenneté à la mairie de Saint-Herblain ; Margot et Anaïs, toutes deux membres de Nantes en commun qui s’était présenté aux élections municipales et qui avait développé une partie du programme sur les mémoires ouvrières et coloniales et sur la décolonisation. Georges, membre et administrateur de l’association Ville Simplement et porteur du projet « Guetteur d’injustice » et Anne-Laure BELLANGER, avocate à Nantes spécialisée dans le droit du travail. Côté fédération, Samuel THOMAS, délégué général de la fédération, Abdoulaye, médiateur de réseaux associatifs, Ayih, Mustapha, Julie, Caroline et Léana, élèves-avocats, Nouara, médiatrice sociale et coordinatrice du dispositif SOS Stage, Redouane ainsi que Rachelle, Marie et Romane, apprenties chargées de communication étaient présents.
Samuel engage la conversation en parlant tout d’abord de la première proposition traitant de l’organisation de la journée internationale de lutte contre le racisme le 21 mars. Il demande donc à Bassem dans quelles mesures la ville de Nantes souhaite s’impliquer dans cette journée. Bassem explique qu’il veut en discuter avec les Maisons des Potes, et notamment Paul GEADAS de la Maison des Potes de Saint-Herblain et qu’il aimerait connaître ce qui se fait également dans d’autres villes.
De plus, il raconte que Nantes est aujourd’hui nationalement voire mondialement reconnue pour son travail sur la mémoire de l’esclavage, notamment grâce à la Fondation sur la mémoire de l’esclavage créée par Jean-Marc AYRAULT, ancien maire de Nantes. Il explique donc que la ville de Nantes peut être un exemple dont peuvent s’inspirer les autres villes concernant ce travail de mémoire.
En outre, dans le cadre de son poste, Bassem est responsable de la politique de la ville et ce notamment dans les quartiers populaires où, selon lui, l’emploi est le sujet à traiter en priorité, car l’emploi appelle l’émancipation et que l’émancipation est une des promesses de la République Française.
Un des autre sujets phares à traiter pour les quartiers populaires est celui de l’éducation. Pour cela, Nouara a développé durant la visioconférence la présentation du dispositif SOS Stage. SOS Stage est en fait un accompagnement à la fois scolaire et anti-décrochage scolaire pour les élèves de lycées professionnels dits sensibles ou difficiles. En effet, ces lycées n’ayant pas bonne réputation, il est extrêmement compliqué, voire impossible pour les élèves de trouver une entreprise acceptant de les prendre en stage et bien souvent, sans stage leur permettant de valider leur diplôme, les élèves perdent leur motivation et finissent par arrêter leurs études. SOS Stage va donc les aider à créer leur CV et leurs lettres de motivation et va rechercher les entreprises spécialisées dans le secteur d’activité de l’élève concerné afin qu’il fasse bien un stage en rapport avec sa filière. Georges confirme les propos de Nouara en expliquant qu’à travers le dispositif « Guetteur d’injustice » mis en place par Ville Simplement, il a aussi fait le constat d’une grande difficulté pour les élèves nantais de lycées professionnels de quartiers populaires et dont beaucoup sont d’origine étrangère ou ont la double nationalité de trouver un stage. Il estime que c’est une très grande inégalité entre les élèves.
Georges poursuit en expliquant que chez Ville Simplement, il y aussi de l’entraide pour réaliser CV et lettres de motivation et également des actions plus revendicatives effectuées auprès de Nantes Métropole, de la ville de Nantes et du département de la Loire-Atlantique. Par exemple, l’association exige que dans chaque famille du département, un ordinateur et une connexion internet soient mis à disposition des collégiens et lycéens, ce qui n’est pas le cas pour toutes les familles du département à l’heure actuelle. Il appelle notamment les partis politiques de gauche à soutenir l’association dans cette action.
Puis, c’est à Pierre-Yves de parler à son tour afin d’expliquer en quelques mots ce qu’est la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Il raconte que l’objectif de l’association est de montrer comment la France est devenu un pays mondial, présent sur tous les continents avec des départements d’outre-mer, de montrer en quoi le territoire français est le reflet pour partie de son histoire coloniale à travers les multiples origines des gens qui la compose. Il explique que la devise « Liberté, égalité, fraternité » a été trempée dans le combat pour l’abolition de l’esclavage, pour l’égalité des droits, pour l’égalité de condition des peuples colonisés vis-à-vis du colonisateur. Le but de la fondation est aussi de mettre en avant les figures qui se sont battues contre l’esclavagisme et le colonialisme.
Pierre-Yves juge aussi important de transmettre tout ce savoir aux enfants qui se sentent exclus de la République, de par les origines de leurs parents ou de leur couleur de peau par exemple. Hormis les enfants, il pense qu’il est essentiel de partager l’histoire de l’esclavage et du colonialisme auprès des décideurs car, parfois, par méconnaissance de ces sujets et lorsque l’on leur parle de lutte contre le racisme et les discriminations, ils ont le sentiment que l’on attaque la République Française et leur patriotisme. Effectivement, certaines de ces personnes relativisent sur les actions commises par la France en la comparant aux États-Unis ou un autre pays qui selon elles auraient fait pire.
Samuel rebondit sur les propos de Pierre-Yves en expliquant que justement des combats ont été menés auparavant pour abolir l’esclavage et le colonialisme et que les actions doivent continuer désormais pour lutter notamment contre l’exploitation des étrangers et des travailleurs sans papiers. Selon Samuel, les employeurs à l’heure actuelle ont un intérêt économique certain à le faire, comme le faisaient ceux qui pratiquaient l’esclavage et le colonialisme à l’époque puisque les employeurs n’ont pas les mêmes obligations de gratifications salariales pour des français que pour des étrangers ou des travailleurs sans papiers. De très grandes entreprises françaises ont par ailleurs déjà avoué avoir recours à la main d’œuvre étrangère ou de travailleurs sans papiers car elle leur coûte bien moins chère que la main d’œuvre française.
Pierre-Yves reprend sur les paroles de Samuel en racontant que Jacques TOUBON, Défenseur des droits, avait confié lors d’une des visioconférences de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, qu’il avait eu à connaître des situations de discriminations à l’emploi où la hiérarchie de la structure reposait sur une compartimentation raciale. Pierre-Yves s’accorde par ailleurs sur les idées de Samuel selon lesquelles l’esclavagisme était avant tout effectué en avançant des raisons économiques bien qu’il y avait aussi des raisons racistes, et notamment par rapport à la compétitivité par exemple.
Abdoulaye n’est pas tout à fait d’accord avec les propos de Pierre-Yves et de Samuel car pour lui expliquer l’esclavagisme par son intérêt économique uniquement est quelque peu réducteur. En effet, il explique que ce sont des thèses idéologiques racialisées qui ont fait naître l’idée qu’il y avait des races supérieures et des races inférieures.
De leurs côtés, Dominique et Samuel sont d’accord pour dire que l’évolution vers plus d’égalité, plus de droits etc n’est pas forcément une courbe toujours ascendante dans l’histoire et qu’il y a plusieurs moments durant lesquels ces idées étaient même en déperdition. Par ailleurs, Samuel explique que selon lui les français de l’époque de l’esclavage ne se préoccupaient probablement pas des pratiques barbares de la France mais Dominique rappelle qu’il y avait tout de même des cahiers de doléances à la fin du XVIIIe siècle et dans lesquels était noté le souhait de plusieurs français d’abolir l’esclavage.
Dominique souligne en outre qu’il existe un certain nombre de points sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour dire qu’il y a eu des marqueurs de progrès dans l’histoire de la France et du monde. Elle soumet également que cela pourrait être le rôle de la fondation de montrer ces marqueurs de progrès afin de donner de l’espoir pour les combats actuels et de prouver qu’il ne faut pas baisser les bras car les efforts et la détermination paient.
Dominique poursuit dans les actions de la fondation en indiquant qu’un travail de formation auprès des enseignants sur le sujet de l’histoire de l’esclavage et le maniement de ces questions sensibles a été entrepris. Dominique affirme que le sujet de l’esclavage est toujours un sujet qu’il faut continuer à traiter aujourd’hui.
Pour Abdoulaye, la déconstruction des idéologies raciales installées et entretenues depuis plusieurs siècles et ce notamment par l’instrumentalisation des textes religieux doit être la charpente essentielle des luttes anti-racistes de nos jours. Pour Samuel, l’enjeu du racisme et de la colonisation était avant tout économique, et est venu à posteriori la justification de ces crimes en utilisant entre autres les textes religieux et en les détournant.
Pierre-Yves explique qu’il est important d’apprendre à vivre ensemble, à comprendre nos différences, nos histoires respectives, l’expérience des uns des autres (autrement dit ceux qui sont victimes de discrimination et ceux qui ne le sont pas) et que cela suppose de l’éducation. Samuel approfondit le propos en racontant que durant plusieurs guerres auxquelles la France a participé elle a volontairement fait oublier des personnalités historiques qui luttaient contre les colonisations afin de faire croire à une unité nationale pour la colonisation et que le but est donc aussi de réhabiliter ces personnes à l’instar de l’abbé Grégoire pour montrer que tout le monde n’était pas pour la colonisation ou encore l’esclavage.
Samuel dévoile le souhait de la fédération de restituer toutes les luttes menées pour l’abolition de l’esclavage depuis le XVIIIe siècle jusqu’au XXe siècle en faisant le récit des victoires et des défaites. Cette restitution se ferait sous forme d’expositions avec une partie numérique et qui seraient destinées aux collèges, lycées, MJC, maisons de quartiers, centre sociaux, etc sur l’ensemble du territoire national et ce en s’appuyant sur le travail de chercheurs et sur des documents que la Fondation pour la mémoire de l’esclavage voudra bien que la Fédération Nationale des Maisons des Potes leur emprunte.