Etape de Marseille

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Interview de Wally TIRERA, un acteur associatif marseillais très engagé dans l’enseignement de la mémoire de l’esclavage, réalisé par Abdoulaye DIA

 

Dans le cadre de la préparation du Tour de France consacrée à la lutte contre le racisme et les discriminations dans la ville de Marseille, nous avons posé à Wally TIRERA quelques questions sur 3 thématiques :

 

  1. Sur les discriminations racistes et sexistes

 

AD : Dans votre ville de Marseille, ou plus précisément peut-être dans le quartier où est implanté votre centre social, avez-vous le sentiment ou des informations démontrant que des personnes subissent des discriminations dans divers domaines : Logement, emploi, éducation ?

 

Wally TIRERA : Malheureusement, ce sont des choses qui existent, l’accès au droit n’est pas le même pour tout le monde. Les gens qui se plaignent de plus en plus au sujet de plusieurs domaines comme l’accès au logement qui est de plus en plus difficile. Il faut connaître quelqu’un pour avoir un logement. Vous savez, hier, c’était le deuxième anniversaire du 5 novembre de l’écroulement des immeubles de la rue d’Aubagne qui ont tristement fait l’actualité. C’est l’exemple le plus frappant de la situation dans laquelle les personnes vivent.

 

AD : Cette situation, est-elle connue par les autorités, est-elle décriée ?

 

Wally TIRERA : Cette situation, elle est connue, décriée, mais bon, ceux qui étaient aux affaires faisaient l'autruche jusqu’au au triste événement de la rue d’Aubagne qui a fait huit morts.

Par exemple nous avons une mairie de gauche dans laquelle il n’y a aucun noir au sein de son exécutif à Marseille, la deuxième ville de la France, ni dans aucune direction des services municipaux.

 

AD : Y a-t-il quelque chose qui est faite pour dénoncer cette situation ?

 

Wally TIRERA : Nous sommes nombreux à dénoncer cette situation, mais bon, nous ne sommes pas entendus, pour le moment.

 

AD : Vous avez été accueilli par les autorités municipales pour dénoncer ce problème ?

 

Wally TIRERA : Les autorités municipales, ils sont nouveaux, vous savez nous travaillions avec la précédente municipalité sur les journées officielles du 10 et 23 mai sur la mémoire de l’esclavage. Je ne dirai pas qu’on a été mal traité mais bon ; on a été traité avec le minimum syndical. A chaque fois avec le protocole et consort on s’est conformé pour éviter les conflits comme avec le président qui m’avait précédé avec lequel ils y avaient quelques soucis notamment. Nous avions un traitement très différencié pour ne pas dire autre chose.

 

AD : Quels sont les secteurs où les gens sont plus discriminés ?

Wally TIRERA : Certainement le quartier nord. Il n’y a même pas de service public, je dirai même on n’est pas à l’égalité sur telle territoire ou autre par exemple. Savez-vous que les gens ne sont pas traités de la même manière. Vous savez dans les beaux quartiers on a accès à tous les services publics plus facilement contrairement dans les quartiers pauvres. Un traitement différent d’accès aux services publiques. Et les gens du quartier nord, n’en parlons même pas.

 

AD : Pour empêcher les discriminations à l'embauche ou dans la recherche d'un logement social, êtes-vous favorable au procédé d'anonymisation des candidatures par le recruteur ?

 

Wally TIRERA : Pour les candidatures je ne sais pas. Mais certaines informations ne devraient pas figurer sur le CV comme par exemple l’âge, l’adresse, la photo, etc. Ce sont des facteurs de discriminations. Je ne suis pas d’accord sur l’anonymisation. J’ai été au Canada, à Montréal, plus précisément dans les CVs, ce genre d’information n’apparaissent pas, c’est interdit. La date de naissance, l’âge et le sexe, on ne regarde pas ces critères. Les critères recherchés ce sont les compétences.

 

Dans les concours de la fonction publique à l’écrit les copies sont anonymes, un candidat de couleur ou d’une autre origine cartonne et à l’oral il est massacré. Sur ce plan l’anonymisation des CV ne servent à rien. Cependant je suis d’accord pour le principe de l’anonymisation de certaines informations mais pas pour le nom et prénom du dit candidat.

 

AD : Avez-vous des exemples de discriminations que vous avez identifiées ?

 

Wally TIRERA : Les discriminations que j’ai identifiées, ce sont les discriminations à l’embauche notamment, ainsi que à l’accès aux logements. Souvent, des personnes voient leur journée gâchée dans les services publics suite à une longue queue d’attente où des agents se permettent beaucoup du fait d’avoir telle ou telle apparence et subissent des traitements différents. Des fois on fait passer des gens devant vous et on vous invisibilise. Ce genre de petites choses, ce genre de traitement pousse souvent à la violence. Et on présente ces gens-là comme ne sachant pas se tenir en société ou autre remarque désobligeante.

 

Par exemple quand j’étais consultant juriste, je m’occupais de dossiers où des personnes se voyaient coupées toutes les prestations, sans aucune raison valable, et le fait d’avoir une certaine couleur de peau ou un nom dit à « consonance étrangère » sont plus à même d’être soumis à de très grandes difficultés pour faire valoir leurs droits, tandis que pour un nom bien chrétien occidental, j’ai eu plus de facilités de traitement du dossier.

 

AD : En face de ces discriminations identifiées, quelles sont les réactions des victimes ou des témoins ? Des testings sont-ils organisés pour chercher les preuves des discriminations ? Des plaintes sont-elles déposées et auprès de qui ? Des syndicats, des associations de lutte contre le racisme, le sexisme, l’homophobie sont-ils sollicités ?

 

Wally TIRERA : Les poursuites judiciaires de discrimination sont extrêmement rares car il est très difficile d’y arriver. Par exemple,  personnellement, j’ai saisi le défenseur des droits. Mais ma plainte n’a pu aboutir car ce dernier m’a expliqué que juridiquement ce n’est pas valide tout en affirmant qu’il ne nie pas les faits de discriminations. Donc ce sont des choses extrêmement compliquées.

 

AD : Et pourquoi juridiquement les réponses ne sont pas recevables ?

 

Wally TIRERA : Généralement les plaintes aboutissent rarement sauf si trop scandaleuses. Par exemple deux policiers ont été condamnés récemment pour violence sur un jeune réfugié. C'était scandaleux. Ils ont été poursuivis et condamnés.

 

AD : la presse locale en a-t-elle parlé ?

 

Wally TIRERA : Oui, la presse locale en a parlé. Nous avons une représentation du CRAN mais malheureusement, il nous manque le fait d’être plus efficace dans la lutte contre les discriminations. Par exemple, des organisations pourraient être des collectrices de mains courantes, en relation étroite avec la justice. Et ceux qui dénoncent, on essaie de les décrédibiliser par ceux qui ont été clientélisés ou on les prive de subventions tout simplement. On les accuse souvent de verser dans la victimisation ou autres dénigrements, etc.

 

  1. DEUXIEME THEMATIQUE SUR LE VIVRE ENSEMBLE

 

AD : Dans votre ville, votre quartier, avez-vous le sentiment que les populations entre elles sont respectueuses des libertés de croire ou de ne pas croire des uns et des autres, ou bien avez-vous le sentiment ou des éléments laissant penser qu'il y a des tensions, des souffrances liées à des pressions de fondamentalistes ou des pressions racistes de peur et de haine envers les musulmans ?

 

Wally TIRERA : Il y a des gens qui ont des réflexions discriminantes sur les musulmans. Et cela relève de l’ignorance en réalité. Les musulmans sont ceci, cela... Des choses qui ne sont pas gentilles. Dans les cafés du commerce, la plupart s’exprimant sans complexe. Il y aussi le comportement des jeunes des quartiers qui sont embrigadés, s’ils ne sont pas dans la délinquance, ils sont à la mosquée ou entre les deux. Il y a cette influence aussi. Et même parfois quand tu les salue, ils ne te répondent pas. Ils ne saluent que si tu leur fais la salutation « Assalamalekoum ».

 

AD: S’il y a des tensions, des paroles blessantes, des souffrances qui ont lieu dans les établissements scolaires ou dans les structures socioculturelles, savez-vous quelles réponses les adultes éducateurs et enseignants apportent à ces problèmes entre jeunes ?

 

Wally TIRERA : On a un système éducatif qui est un système dual. Par exemple, je suis indirectement associé à un programme éducatif de soutien/rattrapage scolaire, en plus d’effectuer des interventions dans les écoles sur les questions mémorielles et sur la lutte contre le racisme.

 

AD : Les populations de votre ville ressentent-elles de la souffrance à cause des paroles racistes anti musulmans ou antisémites qui sont diffusées dans les médias, les réseaux sociaux et les sites internet ?

 

Wally TIRERA : Il y a des gens qui malheureusement en souffre Il y a des gens qui partent, qui quittent la France pour pouvoir vivre leur foi normalement et être respectés, pour pouvoir suivre leurs rites de confession. C’est pesant pour ceux qui subissent à longueur de temps la mise à l’index. Le soutien des associations anti-racistes organise des événements, des soirées, des tables rondes, il y a beaucoup d’associations de cette nature.

 

AD : Quelles actions sont proposées à ceux qui veulent agir ainsi dans la ville ? Des spectacles, des expositions, des films, des débats sont-ils organisés et par qui ?

 

Wally TIRERA : Par exemple, hier, j’étais en réunion avec un réseau d'associations « Marseillais unis dans l’amitié » qui est multiconfessionnelle et multiculturelle. Organisons un grand évènement avec les enfants, lieu de rencontre de plusieurs associations pour se connaitre. Cette année, cela n’a pas pu avoir lieu mais nous organisons des visioconférences et sans compter d’autres asso aussi qui organisent des débats également. Par exemple j’ai reçu un projet aujourd’hui ; c’est un projet avec une quarantaine d’associations : des brésiliens, des africains.

 

  1. TROISIEME THEMATIQUE : Combattre les inégalités dans l‘école

 

AD : Dans les écoles, collèges et lycées qui accueillent les populations des quartiers les plus populaires de votre ville, avez-vous le sentiment que le dédoublement des classes, comme cela a été fait pour les CP et CE des REP+ devrait être généralisé à toutes les classes de ces établissements ?

 

Wally TIRERA : D’accord pour le dédoublement certes, c’est bien, c’est une bonne chose, mais il faut des professeurs de qualité. Il ne faut pas que cela soit tout simplement des nouveaux, qui ont choisi la vocation par défaut, et qu’on envoie dans ces quartiers

 

On devrait envoyer des professeurs expérimentés mais bon comme vous savez ce n’est pas le cas. Moi je mène souvent des activités dans les écoles, dans les collèges, dans les quartiers mais pour faire passer un projet c’est la croix et la bannière. Quand je vais dans une école d’un quartier populaire, je n’y arrive pas et quand je vais dans une école privée, je réussis à les faire participer au projet.

 

Par exemple pour un projet d’exposé, je n’ai pas pu le faire dans les quartiers populaires, les collèges etc. Je ne comprends pas. J’ai voulu faire le projet dans un autre quartier et ça a marché.

 

AD : Et selon vous, pourquoi ces obstacles dans les quartiers populaires ?

 

Wally TIRERA : Ils ne sont pas ouverts, je ne sais pas, je ne comprends pas. Je fais des interventions ailleurs, qui marchent dans les autres quartiers dans les écoles privées, mais j’essaie de faire des actions auprès des jeunes qui ont besoin de connaître leur histoire, de connaitre leur société, mais je n’y arrive pas.

 

AD : Pour aider les jeunes dans leurs recherches de stage ou d'alternance en entreprise, avez-vous dans votre ville une association qui vient en aide aux jeunes ? Seriez-vous favorable à ce que ce soit le lycée qui ait la responsabilité de trouver au jeune une entreprise accueillante ?

 

Wally TIRERA : Il faudrait nouer des partenariats avec des entreprises et notamment les services publics. Les élèves des quartiers populaires doivent être prioritaires pour les stages. Ou nouer des partenariats avec pôle emploi, avec des entreprises pour permettre aux jeunes de faire des stages. Au niveau universitaire par exemple les étudiants font des stages de Master II pour valider leur diplôme. Savez-vous qu’il y a plein de gens qui ne réussissent pas leur master par ce qu’ils n’ont pas obtenu leur stage en France particulièrement à Marseille ? Ce genre de chose arrive malheureusement.

 

Interview de Wally TIRERA réalisé par Abdoulaye DIA le 09 novembre 2019