Immigration : Ah ! Ces immigrés qui font tourner notre économie !

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Comment l’immigration contribue à la sauvegarde de l’économie européenne et des caisses de retraites ? Comment obtenir la régularisation des travailleurs sans papiers en Europe pour faire cesser leur exploitation ? Comment défendre les droits des immigrés face aux thèses de l’extrême droite xénophobe?

 

Avec :

Mohammed Benchaabane (Président de la Maison des Potes de Luneville)

Pierre Henri (Délégué Général de France Terre d'Asile)

Guillaume Duval (Rédacteur en chef d’Alternative Économique)

Monique Soleil (MDP AGPAS de Grigny)

Alexis Bachelay (Député de la 1ère Circonscription des Hauts-de-Seine.)

Mehdi Massrour, (conseil général de Roubaix)

 

 

 

 

 

 

Mohammed Benchaabane : En introduction, je vous propose de vous lire un texte sur les chibanis que j’ai écrit il y a quelques années. « Ils sont arrivés après guerre, certains étaient déjà là après avoir combattu dans les tranchées. La guerre a détruit. On a fait appel à eux pour reconstruire les stigmates de la folie de l’homme. On les voulait des hommes seuls, souhaité bien sûr par le patronat français et par l’Etat qui voulait cette immigration en organisant leur recrutement par les bureaux de main d’oeuvre dans les pays d’origine, leur signifiant que c’était pour le temps de la reconstruction. Cela leur correspondait. Ils n’étaient pas venus pur s’installer, mais pour améliorer le quotidien de leur famille restée au pays. Ils étaient devenus malgré eux partenaires d’un projet dont ils partageaient l’objectif. L’accueil et leur hébergement était souvent fait par des marchands de sommeil et pour certains, par leurs compatriotes. On les trouvait souvent dans les grandes chambres-dortoirs avec les matelas à même le sol, allant parfois partager la même couche en fonction des horaires de travail en trois huit. Les baraques en bois ont émergé dans les périphéries des grandes villes, devenant des bidonvilles où on pouvait trouver des échoppes d’alimentation, parfois même un coiffeur. Une grande partie de cette population venait d’Algérie, alors département français, et avait pu ainsi y faire venir leurs épouses. On ne les voyait pas, on avait un regard sur les bidonvilles mais certainement pas pour ceux qui y vivaient. Et eux-mêmes faisaient tout pour passer inaperçus. Ils en devenaient invisibles. Du bidonville, ils se rendaient dans les chantiers de construction, participant ainsi à ces ensembles qui allaient devenir les banlieues. Pour les mal-logés des villes, ces quartiers sont attractifs par le confort des appartements au niveau sanitaire. En 1958, l’Etat va lancer un projet de construction de foyers destinés à loger les travailleurs algériens en mettant en place un organisme public qui s’appellera un temps la Sonacotra et qui s’appelle maintenant, vous le savez, l’Adoma. Ces foyers présentent des avantages sociaux pour l’époque, offrant des cuisines collectives et des lieux conviviaux par la mise en place de cafétérias, etc... Les responsables de ces établissements vont être en partie des militaires en retraite des anciennes colonies françaises. Il faut ce qu’il faut, on ne va pas changer en France ce qu’on n’a pas réussi dans les colonies. Il faut de la poigne pour gérer les foyers et ces hommes qui passaient une grande partie de leurs journées dans leurs chantiers. La vie dans les foyers se voulait communautaire et parfois facilitait les regroupements d’une population du même bled. C’était comme ça, le bouche-à-bouche fonctionnait et personne ne s’en plaignait. La présence, c’était l’absence et l’absence devenait présence toutes les fins de mois, pour celles et ceux qui attendaient le résultat de cet exil, confortant ainsi par le silence des mots la permanence de la trajectoire migrante. Le mandat serait résumé par ces quelques mots écrits par celui qui pourrait dire en français : « Je vais bien. Je vous ai envoyé un mandat. L’avez-vous reçu ? » Et quand le soir venu, autour d’un café, les lettres du pays étaient partagées, les émotions se déguisaient en l’absence qui ne dit pas son nom. Et comme par enchantement, le rire laissait la place à la parole des absentes. Oui les absentes se déclinaient au féminin. Faut-il pour cela feindre et trahir la pudeur de ceux qui n’osaient pas en parler de peur de convoquer le diable de chair, qui pour certains y croient encore.

« Tu sais Laïla, mon exil m’a fait mejnoun de toi. Je suis captif de mon désir d’absence de toi. Il me faut conjuguer ta présence à la forme de toi et de toi il me reste un mois de notre dernière lune de miel. Oui tous les ans je viendrai me consumer pour un mois. Et pour les années à venir je brûlerai de ta flamme qui me consume encore onze mois. Et je viendrai vacillant de désir. Et repartant dans mon exil pour te garder, encore te garder encore et encore. Viendra pour moi le temps de la vieillesse qui ne me comprend pas. Et mon demi-siècle d’exil aura eu le temps de 1 520 jours de ta présence. Oh Laïla, chante encore les premières heures de notre rencontre. Chante pour moi. Ma voix s’est éteinte depuis le silence de mon exil. Chante encore, chante, avant que ne s’éteigne le vent qui souffle dans la flûte de l’éternité de l’Humanité. »

Comment parler des migrants sans parler de l’humain, sans parler de cette ressemblance qui habite tous les cardinales de notre existence ? Et quand nous abordons les rapports Nord/Sud, mais où est l’humain ? Même dans sa migration il devient suspect. Et même quand il te ressemble dans ses aspirations, il vient bouffer ton pain et menace ta culture, comme s’il n’en avait aucune. Quelle ignorance ? Comment la conjuguer si je la mets au présent. Elle me dérange d’être trop proche de moi par les horreurs de ma civilisation. Au futur, elle m’est insupportable. Je la veux discriminante par l’étrangeté à la comprendre. Ce qui me dérange vraiment, c’est la ressemblance d’êtres humains. Par contre, j’aime la différence. Elle me rassure, et dans mes comportements je vous tolère. Et je vous le dis que cela me renchérit. Oui, j’aime vous voir différents de moi. Cela me rassure. Surtout ne me ressemblez pas. Je ne pourrais plus défendre mon modèle que je vous domine. J’aime le Paris-Dakar mais pas le Dakar-Paris. Je vous le dis, je vous aime différents. Cela me rassure.

Ils sont venus comme ça par milliers construire la France et être solidaires du paradoxe d’être des colonisés, garder le modèle du rapport qu’ils connaissaient le mieux, Jean qui connaissait Ahmed, qui connaissait Paul, qui connaissait Jean-Claude et ainsi va la vie qui mène à l’exil. On emprunte souvent les chemins les plus courts qui vous éloignent de l’énigme de l’existence. C’est cela l’immigration qu’on garde sous le silence de ceux-là mêmes qui l’ont choisie. Prendre le chemin du migrant c’est prendre le chemin d’être absent à soi et présent à l’autre. » Merci. (Applaudissements)

J’ai voulu vous lire ce texte parce que lorsqu’on parle d’immigration, je m’y retrouve complètement. Je suis le migrant. Je ne parler que de la place où je suis et de la vision que je porte sur le monde, mais dans une dimension collective car l’immigration se partage. Ces espaces sont souvent solidaires. Un jour, vous vous réveillez français. Vous arrivez en France, vous êtes immigré et vous portez cette étiquette pendant une moitié de siècle. J’ai pris ma retraite il n’y a pas longtemps, je suis un chibani. Non, le 10 mai 1981, je n’ai pas voté pour Mitterrand car je n’avais pas le droit de vote à l’époque. J’ai pu voter quelques années plus tard en prenant la nationalité française. C’est pour ça que je continue à défendre le droit de vote pour les étrangers. Je serais même pour que ce soit à toutes les élections. Par rapport à l’économie européenne, il ne faut pas oublier que l’immigration participe aussi à l’économie des pays d’origine. Et elle participe loin devant les aides qui sont versées aux pays en voie de développement, selon l’OCDE.

 

 

 

 

Pierre Henry : Comment réagir face à la montée des populismes, pas seulement de l’extrême-droite, mais aussi de la droite extrême. Tout d’abord, il y a un énorme travail à faire en matière de connaissances sur la question des migrations. On ne peut pas changer le regard si parallèlement, on ne change pas les représentations. Et pour cela, il faut avoir une idée juste sur ce qui se passe, c’est important pour la déconstruction des images qui stigmatisent.

Je voudrais vous rappeler quelques règles en matière d’immigration. A l’échelle mondiale, la première règle, c’est la sédentarité. La population mondiale est sédentaire. La mobilité internationale représente 250 millions de personnes, soit 3 % de la population mondiale. Sur ces 3 %, les migrations Sud-Sud représentent en plus d’un tiers, et les migrations Nord-Sud sont en voie de progression.

Deuxième règle, la proximité. Les migrations se déroulent souvent à proximité des zones de conflit dans le cas de migrations forcées ou en cas de difficultés économiques ou de catastrophes. Exemple, en Syrie, les gens migrent majoritairement en Jordanie ou au Liban. L’Europe prend donc une toute petite part dans l’accueil des populations migrantes.

Troisième règle, la rareté. On a beaucoup parlé du sort qui était réservé aux étudiants étrangers dans notre pays avant le changement de majorité. Le marché des étudiants internationaux au niveau mondial aujourd’hui représente 5 millions de personnes que cinq grands pays se disputent : les USA, l’Australie, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France. Nous sommes dans le peloton de queue. Cela est dû à notre économie, à l’attractivité de nos écoles et cela reste quelque chose d’énormément mesuré. La migration est donc rare et de plus en plus qualifiée. Le problème du débouché dans le pays d’origine va entraîner une migration internationale.

Concernant la question des flux, on parle toujours des flux entrants, jamais des flux sortants. Quand nos politiques annoncent 200 000 entrées sur notre territoire, en vérité, ils ne calculent jamais le solde migratoire. Si on fait l’effort d’entrer dans les différentes catégories qui vont constituer ces 200 000 personnes, on constate que 90 000 personnes entrent au titre de l’immigration familiale. De quoi s’agit-il ? C’est un droit consacré au niveau européen qui donne le droit de vivre en famille au titre du regroupement familial : 15 000 personnes. Mais c’est aussi le droit pour chaque individu de vivre avec qui il l’entend : 45 000 personnes chaque année ont l’idée saugrenue de tomber amoureuses de citoyens non-européens. Les étudiants : 65 000 personnes... Ces questions sont trop souvent globalisées, y compris dans notre discours pendant lesquels nous ne faisons pas ce travail de pédagogie.

Autour de la question de la régularisation, le 28 novembre dernier, une circulaire a été éditée par le ministre de l’Intérieur avec un certain nombre de critères. Nous avons été plusieurs à approuver le choix de critères mais à trouver ceux-ci extrêmement sévères. Il me semble que le temps est venu d’évaluer les effets de cette circulaire et d’en demander la correction tant il est vraie que sur le terrain son application est difficile et qu’un certain nombre de situations perdurent dans la précarité.

Quant à l’apport des migrants à l’économie française et européenne, beaucoup d’outrance entoure cette question. Je pense que rien ne permet à la fois les surenchères pour expliquer qu’il est nécessaire de fermer les frontières, pas plus que les études économiques ne montrent qu’il serait nécessaire au contraire de les ouvrir. C’est dans la raison que nous devons tracer un chemin, celle du développement et du partage entre les nations et les ensembles qui sont aujourd’hui constitués.

 

 

 

Guillaume Duval : Ces immigrés qui font tourner l’économie, je voulais souligner que c’est assez peu le cas en France. Nous sommes un des pays développés où les flux d’entrée de nouveaux immigrés sont les plus faibles, qui représentent 0,2 % de la population française. C’est trois fois moins que la hausse de la population qui est liée à l’accroissement naturel. Avec 8 % de la population est immigrée, on est aussi un des pays développés où la proportion des immigrés est la plus faible dans la population, trois fois moins qu’en Australie ou en Suisse... La part des immigrés dans l’emploi a baissé en France, c’est un des seuls pays développés où ce soit le cas. Je ne crois pas que cette fermeture particulièrement marqué de la France sur ce terrain par rapport aux autres pays développés était à l’origine d’un dynamisme économique plus marqué qu’ailleurs, ni d’un état des finances plus équilibré que dans les pays qui ont fait des choix différents sur ce plan-là.

Savoir si l’immigration est bonne ou mauvaise pour l’économie est compliquée, et je ne crois pas qu’elle soit tout à fait centrale dans les problématiques qu’il faut développer. Il est vrai que l’immigration est un moyen d’élever le PIB potentiel d’une économie. Plus les gens ont la possibilité de travailler et produire des richesses, et Pierre Henri l’a indiqué, ce sont des gens de plus en plus qualifiés, plus on a de capacités de produire plus de richesses. D’autre part, même dans le cadre du regroupement familial, c’est aussi de la consommation qui s’accroît, et des cotisations et des impôts qui sont payés. A ce titre-là, c’est un moyen d’accélérer l’activité économique. Une part significative du grand nombre d’immigrés aux Etats-Unis, ce que l’on appelle le « Brain drain », attire des gens assez qualifiés de l’étranger. Elle représente une source importante du dynamisme en matière de high-tech, d’internet, etc... des Etats-Unis.

Accueillir des immigrés peut donc être un moyen d’accroissement économique à moyen terme, mais le problème c’est qu’il y a une vraie contradiction entre le moyen et le long terme. Il est vrai que, dans un pays comme le nôtre, où l’immobilier est très cher, où il y a une crise du logement, où le chômage est très élevé, à court terme un afflux d’immigrés pose un certain nombre de problèmes réels à la fois en termes de logement, sur le marché du travail, etc... Ce qui est vrai aussi, c’est que ces immigrés posent d’autant plus de problèmes qu’on ne les régularise pas. Si on laisse ces gens dans la clandestinité, cela accroît la pression sur le marché du travail, puisqu’ils ne sont pas dans le cadre des lois et de la protection des salariés, ça prive l’Etat de rentrée d’impôts, de cotisations sociales, etc... Parmi les plus mauvais choix qu’il y ait sur ce plan-là, c’est évidemment le fait d’avoir des immigrés que l’on maintient dans la clandestinité. Si l’on n’est pas capable d’éviter d’avoir des clandestins, il vaut mieux les régulariser rapidement sur un plan strictement économique et social.

Il existe donc cette contraction sur le plan de la dynamique économique. L’immigration peut être un plus en termes de dynamique économique, mais il est vrai qu’elle peut être aussi un problème à court terme sur le plan économique et social. C’est vrai aussi, et le patronat en a joué à un certain moment, que le recours à l’immigration peut être un moyen pour faire pression à la baisse sur les conditions d’emploi, de salaire, etc... On n’est pas crédible si on n’est pas capable de le reconnaître. Mais à mes yeux, il n’est ni bon ni possible de défendre le statut et l’accueil des immigrés en France sous un angle purement économique. Je pense qu’il s’agit d’abord d’une question de dignité, de fraternité, une question sociale, morale, de valeurs avant d’être une question économique.

 

 

 

  

 

Monique Soleil : Je suis conseillère municipale et conseillère d’agglomération à Viry-Châtillon dans l’Essonne au Parti Socialiste. Je suis présente aujourd’hui au nom de l’association AGPAS France (Animation Sociale Globale de Proximité d’Accueil Spécialisé et de relais scolaire) que je dirige en tant que directrice adjointe. C’est une association qui se trouve à Grigny. Comment régulariser les immigrés ? Au quotidien, l’association reçoit beaucoup de sans-papiers mais pas sans droits, il ne faut pas l’oublier surtout. Ils ne connaissent pas leurs droits mais ils connaissent encore moins leurs devoirs. Pour ceux qui travaillent sans être déclarés, et non au noir –j’insiste car ce terme est déjà une discrimination, nous recevons de plus en plus d’immigrés d’Italie, d’Espagne où il n’y a aujourd’hui plus de travail. Lorsque vous évoquez leur situation avec ces personnes afin qu’elles puissent rassembler les documents nécessaires souhaités par le service étranger des préfectures, ils vous répondent à 85 % que leur employeur ignore qu’ils ne sont pas régularisés. La plupart déclarent et paient leurs impôts. Lorsqu’on leur explique quels documents leur employeur doit fournir pour leur régularisation par le travail, c’est toujours la même réponse : « Oh, je ne peux pas car ils vont me licencier, et j’ai des charges, j’ai le loyer, j’ai la famille. » Cela arrange bien les employeurs, car ils leur font faire autant d’heures qu’ils veulent, pas de congés. Si cela ne leur plaît pas, on les licencie sans aucune indemnité. Ce n’est pas les étrangers qui iront voir les syndicats ou les Prudhommes. Il est important qu’ils soient régularisés dès l’instant qu’ils font preuve d’insertion socio-professionnelle.

Il ne faut pas oublier la jeunesse. Nous avons mis en route un relais scolaire car avant que les jeunes enfants puissent être reçus dans les académies pour étudier leur situation scolaire, ils restent chez eux ou dans la rue. Ils viennent chez nous, on les fait travailler. Au moment où ils sont jugés par une académie pour être placé dans une école, au moins n’ont-ils pas perdu leur temps.

 

 

 

Alexis Bachelay : Les chibanis sont pour moi un sujet d’actualité puisque avec Claude Bartolone et d’autres parlementaires, nous avons souhaité, dès le début de cette nouvelle législature, qu’une mission parlementaire travaille sur la situation dans notre pays des immigrés âgés. Elle a été créée le 16 décembre 2012 et je viens de rendre la semaine dernière le rapport à Claude Bartolone en présence de nombreuses associations qu’on avait d’ailleurs auditionnées. Il y a eu 35 auditions parmi lesquelles à la fois des responsables des administrations concernées, beaucoup de militants d’associations, d’élus locaux, et les ministres concernés et ils sont nombreux puisque ce dossier, par essence, concerne de nombreux secteurs de la vie sociale, le logement, la santé, la retraite, la citoyenneté, le droit au séjour et l’intégration.

Pour résumer ces 700 pages avec les annexes, dont l’objectif est de raconter cette histoire qui a été très peu évoquée dans les institutions de la Républiques. En tout cas, à l’Assemblée Nationale, c’était la première fois qu’un rapport était construit sur la condition des immigrés âgés et leur situation actuelle qui est celle d’un vieillissement. Les chibanis, originaires d’Algérie, sont arrivés dans les années 50-60. Progressivement, une diversification s’est opérée avec les venues de travailleurs marocains grâce à un premier accord signé entre l’Etat français et l’Etat marocain en 1963. Puis des Tunisiens. Jusqu’à un basculement dans les années 70, où de plus en plus une immigration sub-saharienne vient compléter cette immigration maghrébine qui continue mais décroît.

Nous nous sommes intéressés à ces 800 000 travailleurs immigrés âgés. Quand on a 55 ans, on commence à être âgé. Les plus de 65 ans sont souvent ceux qui sont dans les foyers de migrants Adoma, et souvent ils y sont depuis près de 50 ans car certains n’ont jamais quitté le foyer. Nous avons choisi de travailler sur ce sujet parce que notre sentiment était qu’il y avait une urgence à apporter des réponses à des situations qui aujourd’hui ne sont pas dignes de notre pays. Le rapport retrace les conditions d’arrivée des migrants dans les années 50-60, qui sont clairement une obligation économique : la France se reconstruit, c’est le début des 30 glorieuse, c’est l’industrialisation à marche forcée de notre pays. A cette époque, pas de problème de visa ni de carte de séjour. Ceux qui viennent par la filière économique sont accueillis, ceux qui viennent de façon clandestine, on les accueille aussi, on les régularise. De toute façon, il faut remplir les usines. Par contre, il est clair pour l’Etat qu’il ne s’agit que d’une immigration temporaire et aucune condition de confort ni d’intégration ne sont mises en place. On laisse les gens s’installer dans des hôtels meublés, dans des caves, parfois à 10 ; dans des chambres d’hôtel, on le disait tout à l’heure, où ils sont à trois. Ils faisaient les trois huit. Et les bidonvilles, puisque les foyers ne suffisaient pas à absorber ces contingents d’immigrés. Je suis moi-même élu d’un territoire où il y en a eu : à Gennevilliers, à Colombes, à Nanterre... en proche banlieue parisienne. On les mettait le plus loin possible du cœur de Paris afin qu’ils soient le moins visibles possibles. L’exploitation était évidemment maximale.

Entre 1950 et 1974, trois millions de personnes étrangères sont passées dans notre pays. Une minorité est restée : 500 000. Une majorité a fait ce qu’on appelle la navette, l’aller-retour. Certains sont venus travailler quelques années puis sont repartis dans leur pays. Les projets à l’époque n’étaient pas forcément des projets d’installation. Assez rapidement, le mythe du retour s’éloigne. Certains fondent des familles, d’autres ont laissé leur famille au pays et continuent à faire la navette. A partir de 1974, on arrête soit disant officiellement l’immigration et on encourage les immigrés présents à pratiquer le regroupement familial. On transforme donc petit à petit une migration du travail en une migration du regroupement et de l’installation. Tout cela s’est fait dans la plus totale obscurité. Il n’y a jamais eu de débat public sur ces choix politiques. Dans les années 80, avec la Marche de l’égalité, on a découvert cette immigration alors que beaucoup de Français ignoraient cette histoire de l’immigration qui fait partie du récit national. Notre rapport tendait donc à lever ce malentendu historique par rapport à cette présence de la population immigrée, présence parfois temporaire mais qui est devenue définitive pour beaucoup d’entre eux, puisque les anciens veulent majoritairement vieillir en France.

A partir de ce moment-là, on s’est demandé comment faire en sorte que ces immigrés âgés puissent vivre dans la dignité les dernières années de leur vie en France. La dignité qu’on leur a refusée quand ils sont arrivés en France, et la dignité qu’on leur refuse encore aujourd’hui du fait du comportement des administrations, du fait d’un certain nombre de lois qui représentent aussi des tracasseries administratives et qui sont autant d’obstacles à ce bien-vieillir en France. Le rapport fait 82 propositions autour de la mobilisation générale et non seulement celle de l’Etat. Les pouvoirs locaux, tels les Conseils généraux, ont également un rôle important à jouer. Certains le font déjà en mettant en place des volets gérontologiques pour les immigrés âgés, telle la Meurthe-et-Moselle, mais il y en a d’autres. Et il y a aussi le rôle de communes. Les trois-quarts des foyers se situent à Paris, Lyon ou Marseille et leurs proches banlieues. A Paris, des choses extraordinaires ont été faites. Un café social accueille chaque jour des dizaines et des dizaines d’immigrés âgés. Ils peuvent prendre leurs petits-déjeuners, leurs repas, il y a de la médiation culturelle, des sorties, etc... Même si on est en période de disette budgétaire, je pense qu’on a les moyens dans certaines communes de consacrer de l’argent à faciliter le bien-vieillir des immigrés âgés.

Concernant la question du droit au séjour, les tracasseries administratives avec la Préfecture qui sont vraiment la hantise de ces immigrés âgés, nous avons proposé que ceux qui font deux renouvellements, qui ont plus de 60 ans, obtiennent une carte de séjour permanente. Qu’ils n’aient plus ensuite à revenir renouveler tous les dix ans leurs papiers. C’est une première que nous avons déjà obtenu puisque le Ministère de l’Intérieur n’a pas attendu que le rapport soit rendu pour envoyer une instruction aux préfectures. Mais il faudra vérifier comme toujours  que les instructions sont suivies parce qu’il n’y a pas pire comme sujet mal traité par les administrations que les étrangers et que souvent les circulaires ne sont pas appliquées. Nous avons demandé une facilité de la naturalisation. Beaucoup ont renoncé à cause de la durée et de la complexité de la démarche.

Il y a tout un volet dans le rapport sur l’accès au droit, ou le non-droit, puisque beaucoup de ces immigrés âgés ne bénéficient pas, contrairement à ce que prétend une certaine littérature notamment d’extrême-droite, des droits les plus fondamentaux. Souvent ils n’ont pas de médecin traitant et consultent cinq fois moins qu’un retraité français. En réalité, ils sont sous-utilisateurs de leurs droits à la santé et parfois aussi de leurs droits à la retraite. Certains ont droit à l’ASPA (Allocation de Solidarité envers les Personnes Âgées) mais ne le demandent pas ou renoncent parce qu’ils ont peur quand ils retournent dans leur pays parce qu’il y a une non-exportabilité de l’ASPA. Nous avons donc proposé pour ceux qui veulent repartir qu’ils puissent non seulement bénéficier de leur retraite de régime qui est de droit, qui est exportable, mais aussi du complément de retraite soit lui aussi exportable. C’était d’ailleurs l’objet des articles 58 et 59 de la loi Dallo dites Borloo mais malheureusement, cela fait six ans que la loi a été votée mais les décrets n’ont jamais été publiés. Marisol Touraine a pris l’engagement de publier les décrets avant la fin de l’année. Ces articles créent une aide à la réinstallation familiale et sociale dans le pays d’origine. Il s’agit d’une allocation équivalente au montant de l’ASPA, qui demeure inexportable et qui sera inexportée, mais qui n’est pas l’ASPA et surtout, qui n’est pas versée par les caisses de solidarité parce qu’elles présentent des conditions de résidence qu’on n’arrive pas à surmonter en droit. Par ailleurs, les conditions d’attribution sont très précises. Cette allocation s’adresse à des personnes de plus de 65 ans, vivant depuis 20 ans au moins en France, et résidant dans les foyers de migrants. On estime cette catégorie de personnes pouvant bénéficier de cette allocation à 20 000, si effectivement ils souhaitent retourner dans leur pays d’origine. Aujourd’hui, ces décrets ne sont pas sous le coup d’une législation européenne contradictoire. Voilà ce que je voulais indiquer et qui est très important.

Concernant le logement, il faut en finir avec la spécificité française indigne des foyers d’immigrants avec des chambres de 7 m². Nous voulons que ces foyers soient rapidement tous démolis et remplacés par des résidences sociales avec des studios de 20 m² autonomes, c’est-à-dire avec cuisine et salle-de-bains, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui puisque souvent les douches sont communes, et qui interdit toute vie privée. Faciliter l’accès au logement social de ceux qui veulent en sortir. Parce qu’actuellement, c’est la double peine. Quand ils font une demande de logement social, du fait qu’ils sont en foyer Adoma, on leur dit qu’ils sont déjà en logement social. Non seulement ils veulent en sortir, mais en plus, on les force à y rester. Là c’est également de la responsabilité des villes et des bailleurs sociaux. Pour rappel, il y a la  loi pour l’Accès au Logement et à l’Urbanisme, ALUR, qui est en préparation grâce à Cécile Duflot. Les premiers amendements dits « chibanis », même s’il n’y a pas que des chibanis dans les immigrés âgés, je les déposerai la semaine prochaine dans le cadre de cette loi. Les 82 propositions ne feront pas l’objet d’une loi unique, puisqu’on est dans des sujets transversaux. Mais dans chaque véhicule législatif, loi, modification de loi, etc... il y aura des amendements déposés.

Aujourd’hui, après 50 ans d’invisibilité, 50 ans d’indignité, ce rapport reconnu par tous de qualité offre des propositions concrètes qu’il faut maintenant mettre en œuvre. En tant que député, j’ai ma feuille de route. Il faut savoir que le rapport a été adopté à l’unanimité et que la mission parlementaire comprenait des députés de la majorité et de l’opposition, dont le président qui a voté le rapport. Nous allons essayer, dans un dialogue avec le gouvernement, dans les projets de lois et propositions de loi de mettre en œuvre ces préconisations pour changer et pour que ces immigrés âgés qui le méritent puissent vieillir correctement et dignement dans notre pays.

 

 

 

  

 

Mehdi Massrour : Roubaix est une ville qui s’est construite sur l’immigration. En 1856, elle comptait moins de 40 000 habitants et en 1896, elle en comptait 140 000, c’est-à-dire qu’il ya eu une explosion incroyable. Elle s’est construite sur une architecture basée sur cette industrialisation. Et cet apport en termes de main-d’œuvre c’est fait par l’étranger. Mais quels étrangers ? A l’époque c’était surtout les Belges et Belges flamands. Les Belges flamands étaient les pauvres. D’ailleurs, ils étaient tellement méprisés que lors de la Première Guerre Mondiale, ils n’avaient droit qu’à la fosse commune. A la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècle, Roubaix était une ville qui parlait majoritairement flamand et s’est construite sur cette immigration. Ces Belges qui venaient majoritairement travailler étaient accusés de faire baisser les salaires. Oui, déjà ! Ces Flamands travaillaient majoritairement dans l’industrie textile. Les Italiens et les Espagnols sont ensuite arrivés, jusque dans les années 50-60 avec l’immigration portugaise, algérienne, marocaine et aujourd’hui d’Asie du Sud-Est et de Turquie pour faire aujourd’hui de Roubaix une ville qui a attiré toute une immigration.

Si aujourd’hui les chiffres sont bons par rapport aux entrées en France, je tiens toutefois à rappeler que la France est un des seul pays qui n’a jamais connu d’émigration. Un des rares pays qui a été effectivement colonisé par la France c’est l’Algérie. Mais cette colonisation s’est effectuée avec une population qui n’était même pas dans sa grande majorité française, puisqu’il y avait des gens d’origine italienne ou espagnole. Donc la France n’a pas connu cette émigration et c’est construit sur l’immigration du fait d’un phénomène qui lui était propre, la faiblesse de sa démographie. Roubaix en est l’illustration.

Cela étant dit, la question qui reste en suspend, c’est est-ce que l’immigration a un coût ? Si elle avait un coût, je peux vous assurer que la plupart des personnes qui sont ici ne le seraient pas. L’immigration n’a pas de coût, bien au contraire. Elle est un gain économique pour els pays. La question de l’intégration, qui a été amenée dans les années 1990-2000, n’a pas tant de sens que ça. Cette idée laisse sous-entendre que toutes les populations dont je parlais au début (italienne, espagnole…) ont eu une trajectoire dans notre pays qui s’est faite d’une manière relativement sereinement et que les immigrations africaines ou asiatiques devraient bénéficier d’un système pour éviter qu’elles partent en sucette. C’est un non-sens total. L’immigration est un phénomène purement urbain. Et la question qu’il faut se poser, c’est comment ces populations ont-elles été accueillies au sein de nos villes ? Par exemple, quand je parlais des Flamands, la moitié de la ville parlait flamand. Mais dans les années 50-60, une autre stratégie a été mise en place par rapport à des migrations alternantes. L’immigration dont on parle est le fruit d’une stratégie mise en place par l’Etat pour justement avoir une immigration alternante. En l’occurrence, c’est une mauvaise stratégie.

 

 

 

 

Jérôme Guedj : Il y a une bataille culturelle à ne pas rentrer sur le coût des immigrés dans l’économie globale du pays. L’année dernière, un rapport a été rendu par Sandrine Mazetier tordait le cou à ces idées. C’est toujours utile car cela fait 30 ans que cette logorrhée dure, notamment au Front Nationale, et l’on a vu qu’elle pouvait être reprise par certains pans de la droite dite républicaine. C’est utile mais extrêmement piégeux. Il faut s’y refuser car l’immigré d’hier est un national de demain, dans certains cas. Quand on parle de système de protection sociale ou d’égalité fiscale, ce sont des questions qu’il faut aborder dans la globalité. Il s’agit de la manière dont on pratique la redistribution et le partage. Dès l’instant où on considère que les immigrés sont partie prenante de la communauté nationale, alors il n’y a pas de raison de faire une sorte de comptabilité analytique séparée parce que c’est aller dans le sens de ceux qui considèrent qu’ils ne sont pas partie prenante de la communauté nationale surtout que cette appartenance à la communauté nationale ne procède pas de la détention de la nationalité ni même d’un enracinement pérenne.

 

 

 

Une intervenante : Pour défendre les immigrés, il faudrait commencer par les reconnaître comme des citoyens à part entière. J’ai été interpelée au sujet des chibanis. Je suis originaire de Bordeaux et j’ai vu comment on a traité ou maltraité les anciens combattants. Quand on voit leurs conditions de vie, l’obligation qui leur est fait de venir résider au moins six mois en France et d’abandonner leur famille, je pense que c’est un manque de respect envers ces personnes qui se sont battues pour la France. Les partis xénophobes ont réussi à faire croire que les enfants nés de parents immigrés sont des étrangers. C’est là que se situe la question de l’identité. Je profite qu’il y ait des politiques présents pour vous dire qu’il faut arrêter d’utiliser les termes « les Français issus de l’immigration » parce que cela signifie qu’il y aurait des Français de première et seconde zones. Respecter les immigrés, c’est aussi les considérer comme des citoyens à part entière et arrêter de demander à ceux qui sont nés ici d’ s’intégrer. Ce sont tous ces aspects dans la sémantique, dans la communication ou dans les médias qui sont dangereux. Il faut se demander comment considérer l’autre comme un apport et une richesse et non un profiteur.

 

 

 

Un intervenant : Ma question s’adresse à Monsieur Bachelay. Vous avez souligné que vous souhaitiez faciliter l’accès à la naturalisation pour les chibanis qui le souhaitent. Aujourd’hui, une des conditions à la naturalisation est la maîtrise de la langue. D’ailleurs, il y a un test de français à passer. Or, beaucoup de ces immigrés vieillissant ne maîtrisent pas le français et c’est un frein à leur naturalisation. Je me demande si vous avez réfléchi à cette question.

 

 

 

Elvin : Je suis du MJS à Aubervilliers. Dans le rapport de l’immigration et de la mondialisation, il serait pertinent de se rendre compte qu’il n’est plus possible de traiter l’immigration au niveau national. Serait-il pertinent d’avoir une sorte de pacte européen au niveau de l’immigration ? Les Etats-Unis ont fait un grand pas récemment pour régler cette question. Serait-il possible que les grands Etats coopèrent car ils y auraient intérêt, que ce soit au niveau des flux ou des populations déjà présentes.

 

 

 

Une intervenante : Sur la question de l’immigration et sur la question des sans-papiers, on peut se répéter à l’envi dans les assemblées convaincues comme celle-là, que l’immigration n’est pas un poids, etc… Mais on voit bien que depuis une trentaine d’années ces questions ont oblitéré la question de la résolution de la question des quartiers. On ne parle plus que d’immigration et on ne voit pas la réalité des quartiers. Où on voit la réalité des quartiers mais on n’y apporte pas de solution. D’un côté, on parle de l’identité nationale et on ne parle pas d’immigration. Cela révèle le manque de courage politique. Pour que les immigrés soient respectés, et pour que d’une certaine manière les gens des quartiers trouvent leur intérêt à ce que les sans-papiers soient régularisés, que l’on commence déjà à les respecter dans leurs municipalités, et que l’on fasse avancer au plus vite le droit de vote aux municipales. Si ce droit avait été donné en 1981 comme cela avait été promis, on n’en serait pas là. Il faut donner à chacun, en tant que citoyen, les moyens de peser sur la réalité politique française.

 

 

 

Un intervenant : Je m’adresse aux membres du PS. Je vous trouve frileux sur cette question. Je ne sens pas vraiment de rupture avec le gouvernement précédent. Vous pouvez mieux faire. Vous êtes encore loin de l’idéal que vous pouvez défendre et que j’espère vous défendrez. Y a-t-il un projet de loi sur l’immigration de prévu ?

 

 

 

Mathilde Onin : Pourquoi tous ces départs ? Pourquoi les étrangers quittent leur pays pour venir en France. La jeunesse, surtout. Quand on voit les guerres, les pays où l’état de droit ne sont pas respectés, les gens qui partent à la nage, on se demande où vont ces gens. Et je vous pose la question. Que faire pour que ces jeunes, ces femmes puissent rester dans leur pays. Il y a 50 % des femmes qui sont immigrées.

 

 

 

Mohammed Benchaabane : Ce dont vous avez parlé madame, concernant l’obligation de rester six mois en résidence en France, il s’agit des APL, l’aide au logement, sinon les immigrés perdent le bénéfice de cette allocation. La CARSAT c’est huit mois fermes et au jour près. S’ils ne sont pas présents 240 jours en France, on leur supprime et on leur demande de reverser une partie de cette allocation. Effectivement, il faut que la loi harmonise ces dispositifs car ils envoient deux messages qui ne sont pas cohérents.

 

 

 

Alexis Bachelay : Pour répondre à la question sur la naturalisation, il y a déjà une circulaire qui demande aux préfectures de ne plus exiger cette réussite du test en français aux immigrés âgées. Il n’est pas normal que des gens qui n’ont pas pu bénéficier d’un certain nombre de dispositifs à leur arrivée, comme c’est le cas aujourd’hui, soient lésés au moment de l’accès à la nationalité. Mais nous allons plus loin, nous demandons également que les procédures soient accélérées par rapport aux délais de traitement. Il faut que le ministère prenne notre demande en compte.

 

 

 

Pierre Henri : Alexis, on est entre nous, on peut se dire les choses calmement. Depuis un an, on n’a pas vu beaucoup de choses bouger dans le domaine de l’immigration. Certes, il y a un climat apaisé. Chaque matin, on ne se réveille pas en se disant qu’une population est stigmatisée. La parole publique est respectueuse, elle a changé. C’est un progrès. Par contre, regardez comment les choses ont évolué. On a procédé par circulaire. Il y a eu certes des avancées : l’abandon du ticket pour l’aide médicale d’Etat, l’abrogation de la circulaire Guéant concernant les étudiants étrangers… Enfin, on a essayé de corriger les effets les plus dévastateurs sur la naturalisation de la politique Guéant. En 2011, on a réduit de plus de 40 000 personnes l’accès à la nationalité avec une politique d’ajournement quasi systématique. On sait bien qu’on ne peut pas faire évoluer les choses seulement par la voie réglementaire, et c’est aux parlementaires que je m’adresse. Il faut passer par la loi et que les parlementaires se saisissent de cette question. Sur la nationalité, il y a un double problème : le problème des personnes âgées qui sont là certes depuis très longtemps, mais il y a aussi les jeunes gens qui sont arrivés très jeunes dans ce pays et qui, à 18 ans, sont obligés de passer par la case demande de la nationalité. Ces questions se réforment par la loi. La solution qui consiste à mettre un énorme étouffoir sur ces questions parce qu’on est traumatisé par la montée du Front National, c’est un leurre. Cela n’empêche évidemment pas le Front National de progresser.

Concernant le projet de loi, il existe un rapport remarquable qui contient 25 propositions parmi lesquelles la restauration d’un titre de séjour pluriannuel. Or, la méthode qui est employée aujourd’hui, ce sont cinq groupes de travail qui sont mis en place pour refonder la politique d’intégration. Il faut se redire que les politiques d’intégration pour les primo-arrivants, les politiques d’asiles, n’ont rien à faire avec la sécurité, avec le ministère de la police et doivent être sorties du ministère de l’intérieur. Aujourd’hui ce projet de loi est repoussé après les municipales. C’est un vrai problème car on se demande comment est respecté le pouvoir du Parlement, et à quel rôle sont finalement renvoyés les parlementaires. Nous sommes beaucoup ici à avoir contribué à porter François Hollande au pouvoir et nous sommes bien obligés de nous dire qu’après un an et demi, c’est une énorme déception.

 

 

 

Alexis Bachelay : Je me sens interpelé en tant que parlementaire de la majorité. D’abord, loin de moi l’idée de penser que tout va bien. D’ailleurs si tout avait bien été, la gauche ne serait pas arrivée au pouvoir. Le changement ne se décrète pas, il se construit. En tant que parlementaire et militant, j’ai pris ce sujet à bras-le-corps parce que c’est un sujet qui n’intéresse pas mes collègues parlementaires. Personne ne veut assumer politiquement de défendre les immigrés et d’améliorer la condition des étrangers dans notre pays. C’est une réalité qui a toujours existé. Dieu merci, depuis le dernier quinquennat, on est passé à une autre étape dans le discours. Maintenant, des pratiques doivent être changées. Il ne faut pas non plus idéaliser le fait qu’on va tout changer en une seule loi, à un moment donné.

 

 

 

Mehdi Massrour : On mélange un peu tout : immigration, quartiers, enfants issus de l’immigration… Moi je trouve que François Hollande va trop vite. On s’est battu pour changer une gouvernance qui a duré pendant plus de dix ans, qui a monté les gens les uns contre les autres, qui a complètement cassé ce pays et on voudrait qu’il mette en œuvre 60 propositions en un an et demi, alors qu’il a cinq ans pour les faire. Chacun a une bonne raison de ne pas être content. Mais on le jugera au bout de cinq ans.

 

 

 

La conclusion de Samuel Thomas :

Je voudrais répondre aux critiques que je reçois depuis des années, à savoir : vous, les organisations antiracistes, pourquoi continuez- vous de vous préoccuper des travailleurs immigrés, des sans-papiers, etc… alors que des millions de Français d’origine étrangère sont victimes de discrimination raciale. Une division s’est installée au cours des années entre les organisations de défense des travailleurs sans-papiers et les organisations antiracistes qui se sont mises à lutter contre les discriminations raciales exercées contre des Français. Une orientation qui va dans le sens de la demande des médias car la discrimination exercée sur un étranger passe inaperçue. Avec le discours de Marine Le Pen sur France-Inter ou Europe 1, quand elle dit qu’elle n’est plus raciste puisqu’elle ne s’en prend qu’aux étrangers africains et plus aux Français d’origine africaine, et que cela relève de la souveraineté nationale de se protéger de ces gens-là. Cette division a gangréner les partis politiques et on a considéré que la défense des travailleurs étrangères était une patate chaude. Il fallait concédé que ces travailleurs n’aient pas de droit, qu’ils n’aient plus de carte de séjour de dix ans, mais qu’ils se contentent d’une carte de un an ou de récépissé, qu’ils n’aient pas accès au logement social mais qu’ils se contentent des foyers Adoma ou de logements insalubres… On a même opposé, sous Hortefeux, la défense des travailleurs sans-papiers à la défense des travailleurs en règle. A l’intérieur-même des syndicats, un vrai travail a été fait pour mettre fin à la défense des uns contre la défense des autres. Ce travail est toujours d’actualité. Les organisations antiracistes doivent prendre cette lutte des travailleurs étrangers à bras-le-corps. Ce combat rejoint les organisations italiennes et espagnoles qui, elles, sont axées sur la défense des travailleurs étrangers, du fait d’une histoire différente de la nôtre.

Quelque chose a été dit tout à l’heure par Kaïssa Titouss sur le fait que si on avait donné des droits, les enfants d’étrangers seraient bien traités et on aurait résolu beaucoup de choses. Autre chose me préoccupe : le fait d’avoir décidé que notre géographie prioritaire serait l’Europe et qu’il fallait défendre le droit des travailleurs européens en France, en tournant le dos à l’histoire de France qui était liée aux 14 pays d’Afrique francophone. On a changé de partenaire. On a renié toute une population avec laquelle la France avait des liens. Et chaque fois qu’on met en place une nouvelle disposition pour harmoniser le sort des étrangers mais c’est en rognant sur le droits de certains étrangers qui étaient mieux traités. Traiter tous les étrangers de la même manière ne se fait pas avec le dénominateur commun du meilleur traitement, mais avec le plus mauvais. Donc les problèmes de visa, de titres de séjour, de nombre d’années de mariage avec un Français pour avoir accès à la nationalité, tout cela est en train de reculer alors qu’on avait des obligations vis-à-vis des étrangers qui viennent de pays anciennement sous tutelle de la France. Si l’Europe signifie de protéger des étrangers par rapport à d’autres, cela pose un problème.