SOUTIEN AU MOUVEMENT D’ÉDUCATION POPULAIRE ET AUX MÉDIAS ASSOCIATIFS ?

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Comment donner des moyens aux associations d'éducation populaire qui agissent dans les quartiers auprès des habitants dans toute l'Europe ?
Comment faire changer le discours des médias européens sur les immigrés et leurs enfants grâce a la presse associative ?

François Vercouter (Délégué Général de la Fédération des Centres Sociaux), Carolina Maciel DE FRANCA porte-parole de Kif Kif en Belgique, Pierre Henri (Délégué Général de France Terre d'Asile), Leila Chaibi, membre de la direction du PG en charge de la lutte contre le précariat, Mehdi Massrour, conseiller général de Roubaix, Leyla Arslan , docteur en sociologie, Erwan Ruty, Directeur de Ressources Urbaines, Réda Didi DG de Graine de France, Ahmed Madimoussa (Président de la Maison des Potes de Marseille).

 

Une intervenante

Moi, je reviendrai sur ta question, sur la remarque que j’ai entendue tout à l’heure, oui, mais finalement tout le monde veut le pouvoir. Tout ça, ça m’a fait penser à une réunion publique que avait pu organiser à Fleury avec des jeunes sur les thèmes de l’inscription sur les listes électorales. On parlait du vote, de l’importance du vote, etc., du fait que les quartiers ne sont pas des déserts politiques. Il y avait pas mal de doutes, est-ce que ça sert vraiment à quelque chose de voter ? Un peu ce que tu disais finalement. De toute façon, notre voix ne sera pas entendue, etc. Alors je leur avais raconté ce qu’avaient pu faire de nombreuses associations à Sevran, donc des amicales de locataires qui pour certaines dans certaines cités avaient commencé à organiser les habitants pour essayer de protester auprès du bailleur HLM sur toutes les charges supplémentaires qu’ils devaient payer. Ou alors, je pense à un autre collectif d’habitants toujours dans le cadre finalement, là on est habitants, toujours dans le cadre de la cité, qui s’était mobilisé pour essayer de chasser les dealers de leur hall, donc là, c’était à la cité des Pâquerettes. Ils me répondaient donc les habitants de Fleury : oui, mais ils n’avaient pas le choix. Ils étaient dans des conditions tellement difficiles qu’ils n’avaient pas le choix. Alors moi, j’aimerais vous dire juste que la situation d’injustice, la situation de discrimination, la situation de violence produit de l’indignation peut-être, mais l’indignation ne suffit pas seule à produire du changement. L’organisation, c’est des techniques, construire un collectif, c’est des techniques et c’est un peu ce que disait tout à l’heure… ce que Hereda et Monsieur disaient c’est des techniques qui méritent d’être réfléchies, apprises et transmises. Or, en France, aujourd'hui, on est dans un contexte un peu compliqué où finalement, les grandes organisations qui formaient à ces techniques, donc il y a les grandes organisations d’éducation populaire, il y avait les partis, il y avait les syndicats – et là, je pense particulièrement aux partis, aux syndicats - ces structures connaissent notamment dans les quartiers, en particulier auprès des jeunes, des formes de discrédits. Et par exemple, on va voir de nombreux jeunes vouloir s’investir dans la sphère publique mais plutôt par rapport à la sphère associative que par rapport aux partis. Donc là, en fait, on se rend compte qu’il y a un problème en fait de transmission de techniques de mobilisation et c’est quelque chose qu’il faut vraiment réfléchir. Alors, je pense qu’il y a dans certaines organisations, soit dans les centres sociaux, il y a un certain nombre de collectifs qui apparaissent, qui sont sensibilisés à cette importance de créer des outils et les diffuser. Donc, soyons tous attentifs un peu à ces collectifs qui émergent et échangeons, parce que, comment dire, les techniques, les outils, ils évoluent aussi avec la société et les territoires. Donc là, l’idée, c’est de construire de l’intelligence collective aussi pour affiner les outils et les diffuser au plus grand nombre.

 

 

Un intervenant

Il y en a qui font de l’éducation sans le savoir, de l’éducation populaire sans le savoir. Pourquoi faire de l’éducation populaire ? Parce que c’est un principe fondamental si on veut justement que notre démocratie fonctionne. On est dans des systèmes imparfaits. Et les partis politiques, puisque les partis politiques doivent faire de l’éducation populaire, puisque c’est leur rôle. Alors je suis content que vous ne lisiez pas la presse locale, parce que si vous lisiez la presse locale dans le Nord, vous verriez que je suis présenté comme un monstre, vraiment un monstre. Donc je torture des chats et je suis quelqu’un qui séquestre des pandas. Pourquoi ? Parce que je suis président du parti socialiste dans ma ville et que j’ai voulu changer le mode de fonctionnement de mon parti. Donc nous, on a mis des débats en place, on a même eu des directeurs, le directeur de l’école de Sciences Po qui est venu débattre chez nous, invité des personnes qui sont spécialistes chacun dans leur domaine pour justement échanger avec les militants. Donc, il est fondamental que nous nous investissions dans les partis politiques et que nous les transformions de l’intérieur, parce qu’on ne va pas rêver. Ce n’est pas une association qui va gérer notre pays. Donc moi, dire à un moment donné que la politique, j’y crois pas, si la politique t’y crois pas, va vivre en Syrie ou dans des pays dans lesquels la politique justement n’a pas le droit de cité. Ce que je veux dire c’est que c’est fondamental. Il faut transformer ces machines de l’intérieur. Il faut en refaire des machines de débat, des machines de promotion sociale. Un parti politique, il est là aussi pour former les militants, pour leur permettre à un moment donné de pouvoir exercer des fonctions politiques. Et c’est clair que ce sont des combats qui sont durs, ce sont des combats dans lesquels ça demande énormément d’énergie. Mais à mon avis, c’est là qu’est la clé, parce que dans la crise dans laquelle nous sommes, c’est vraiment par l’organisation des citoyens qu’on peut redonner un souffle à notre pays et qu’on peut éventuellement reconstruire un modèle dans lequel, je pense, les jeunes, quels qu’ils soient, qu’ils soient des quartiers populaires ou des beaux quartiers, dans lequel les jeunes ont leur place et ont leur mot à dire et ils sont l’avenir. Justement c’est pour ça que je pense que c’est essentiel que chacun s’applique. Moi, quelquefois, quand je suis à Roubaix ou quand on fait du porte à porte ou quand on va voir les gens, ils me disent : oui, vous ne faites rien pour nous, mais c’est normal, tu ne votes pas. A partir du moment où les mecs ils ne votent pas, ils ne vont pas les calculer, excusez-moi de la trivialité de mon expression, mais comment on va calculer quelqu’un qui ne vote pas ? Il n’a pas de poids, il n’a pas d’influence. On a des quartiers à Roubaix, on a le triangle d’or. Le triangle d’or, c’est là où il y a la plus forte concentration d’impôts sur le revenu de France, puisqu’on a la partie Barbieux, Croix, donc toutes les familles qui sont liées au textile. La Redoute que vous connaissez, puisqu’ils sont là, même quand on voit comment Pinault traite cette entreprise dans laquelle il a voulu investir, mais enfin, ça, c’est un détail. Mais ils votent à 90 % dans ces quartiers. Vous allez aller dans un quartier qui est à même pas 2 km, 3 km à vol d’oiseau, les gens ne votent pas à 90 %. C’est normal qu’il n’y ait pas de dos d’âne, c’est normal que les mecs ne vont pas se casser la tête à aller refaire les trottoirs, de toute façon, les gens ne votent pas. Donc c’est comme ça qu’il faut fonctionner. C’est le rapport de force. Il faut voter, il faut s’investir dans les partis. Et si on n’est pas dans les partis, il est normal qu’on ne les change pas, puisqu’on n’y est pas. Donc moi, quelqu’un qui me dit, les partis politiques, ils ne sont pas pour nous, est-ce que t’es dedans ? Non. Bon alors tais-toi, voilà. Soit tu rentres dedans et tu te bats ou soit si t’es à l’extérieur, tu l’acceptes, mais il faut être dedans pour les transformer. C’est nous qui faisons la politique, ce n’est pas la politique qui nous fait, c’est nous qui la faisons.

 

 

Un intervenant

Nous, on s’est rendu compte, on fait de la formation de leaders en fait. Donc on essaie de recruter des leaders sur les territoires qui ont des associations et on les forme. Le premier exercice qu’on fait avec eux, c'est la décomplexion vis-à-vis du pouvoir. C'est-à-dire on redéfinit avec eux ce qu’est le pouvoir et quel est eux, leur capacité ou la capacité de l’organisation de pouvoir changer les choses et l’ordre des choses. On est encore dans une image en France et notamment, même de certains responsables associatifs, où le pouvoir est sale, voilà. Et ce qui fait le pouvoir, ce n'est pas un individu ou ce n'est pas un individu qui prend le pouvoir, c'est sa capacité à pouvoir organiser des individus et différentes compétences dans une structure ou dans un groupe pour pouvoir changer les choses. Ensuite, la question de est toujours aussi une question, quand on parle de pouvoir, de rapport avec le service public et de rapport avec ses différents partenaires. Les aider à s’organiser par des moyens, des leviers de pouvoir, organiser les gens, donc les amener à une lutte, ce que fait très bien la Maison des potes et a toujours fait, organiser l’argent. C'est-à-dire les amener à pouvoir lever de l’argent individuellement ou auprès des structures des services publics ou par du crowdfunding ou de nouvelles méthodes qui peuvent émerger encore aujourd'hui. Mais il y a besoin de ces moyens-là. Et à partir de là, les relations qui peuvent être créées avec les services publics peuvent être totalement différentes. Sachant que vous pouvez avoir sur certains territoires des relations conflictuelles avec notamment les élus, mais qui peuvent aussi amener à du changement et des relations beaucoup plus apaisées, où les gens ont jaugé leur force et savent bien qu’il va falloir faire avec cette force en présence dans les cadres populaires ou dans les milieux populaires, qui s’est organisé et donc qui peut faire porter sa voix. Je voudrais juste terminer mon propos, puis ensuite, j’aimerais pouvoir échanger avec la salle, mais il faut vraiment qu’on s’interroge sur notre capacité dans notre pays à pouvoir créer un système méritocratique. C’est que notre Education nationale creuse le fossé des personnes quand ils sont d’un niveau social différent. C'est-à-dire que quand vous êtes né pauvre, que vous rentrez à l’école, ce fossé continue à se creuser. Et que donc l’Education nationale n’est pas cette machine qui permet de remettre les gens à égalité. C’est faux. Aujourd'hui, c’est faux, ça nous est prouvé. Et ça, ça, c’est une vraie question. C'est-à-dire que dans ce pays, aujourd'hui, avec le système actuel, quand on est issu d’un quartier populaire et donc, quand on a des parents issus d’un milieu social faible, on a toutes les chances de rester dans ce milieu social là. Et donc, la méritocratie, quand vous parlez aux gens, aux vrais gens, nous les gens qu’on rencontre, ils n’y croient plus. Et ils savent bien que ce qui marche, ici, principalement, malheureusement, c’est la naissance, le milieu dans lequel vous êtes né et c’est le réseau que vous vous créez ensuite. Merci.

 

 

Un intervenant

C’est vrai.

 

 

Un intervenant

Simplement, il y a au moins une inquiétude en ce moment, c'est la question de la politique de la ville. Y a-t-il encore une politique de la ville en France avec la loi qui se prépare ? Ça, c'est une question qu’on peut se poser et les moyens qui étaient avec vont encore se réduire. On est forcément inquiets sur cette question des moyens et de… Ceci dit, j’ai envie de faire deux détours par rapport aux questions qui ont été posées. Est-ce qu'il y a encore d’éduc pop en France ? Ça, c'est une question qui m’intéresse ? Moi, je pense que oui, elle existe toujours, la preuve en est, votre rencontre aujourd'hui. Pour moi, c'est… on est en plein dans un mouvement d’éducation populaire. Maintenant, peut-être qu’aujourd'hui, l’éducation populaire, on ne la trouve pas dans les lieux institués, on la trouve moins dans les lieux institués ou ceux qui se baladent sous le drapeau éduc pop. C'est-à-dire que je pense qu’il s’invente plein de choses dans les quartiers, dans les territoires, dans les cantons, de gens qui se lèvent, qui inventent des solutions par eux-mêmes, qui inventent des cercles où on discute, qui inventent du débat, qui mettent des questions en route et qui interpellent autour d’eux. Et ça, c'est de l’éducation populaire. On est sur… beaucoup de partenaires politiques ou techniciens des collectivités locales, territoriales, qui ne croient pas que la société civile peut porter une énergie, peut inventer des choses, peut dépanner des pannes de la société. Ils pensent que de toute façon, et le pouvoir, et le savoir, c'est eux qui l‘ont. Autour de la participation citoyenne, la France en a fait une religion, c'est-à-dire qu’il y a les croyants et les non-croyants. Vous voyez, et ça, c'est insupportable. C'est-à-dire qu’il n'y a pas à remettre en cause ça. On a assez prouvé nous tous les associations, que la participation citoyenne, ça fait avancer le schmilblick, ça fait avancer la société, ça invente un mieux vivre ensemble et voilà. Mon combat en tout cas aujourd'hui, c'est celui-là, c'est celui d’arrêter de laisser des gens dire que je n’y crois pas et ça ne marche pas, ce n'est pas vrai, c'est insupportable de laisser dire ça. Il faut au contraire que les gens acceptent d’entendre que de toute façon, on a déjà assez prouvé que ça faisait avancer les choses, que c'est à eux de se remettre en cause sur le partage du pouvoir et sur la capacité qu’on pourrait avoir d’inventer ensemble en prenant en compte l’expertise de chacun, un mieux vivre ensemble. Donc, la question des moyens, bien sûr que c'est une question importante, mais si derrière, de toute façon, ce mur-là, il n’est pas abattu, on pourra mettre tous les moyens qu’on veut, ça n’avancera pas plus. Et on est relativement bien placé pour le dire à nos centres sociaux, parce qu'effectivement, je crois qu’on fait partie de ceux qui ont eu un certain nombre de moyens ces 30-40 dernières années pour avoir des permanents, des locaux, des maisons sur les territoires, etc., et que, à nouveau, de toute façon, ce qui coince, c'est cette sorte de mur d’incompréhension entre nos élites et puis ceux qui, sur le terrain, inventent, ont des idées, veulent faire avancer les choses et puis sont coincés.